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L’Est Républicain, le 28/03/2015
Depuis deux semaines, à Valentigney, des tags insultants recouvrent des façades de commerces appartenant à des commerçants d’origine turque.
Senoel Sahinbay (à droite) : « Ce tag, c’est fait pour faire mal. Moralement, on a du mal à encaisser ».  Photos Francis REINOSO
Il est rare de voir la communauté franco-turque de Valentigney monter au créneau. D’habitude si discrets, ces membres ont décidé, pourtant, de sortir du silence face à la montée d’actes aussi stupides que nauséabonds. Des tags « Halte à l’islamisation de la France » ont été découverts sur les façades de commerces de la zone des Combottes, en lettres provocantes noires et majuscules.
Le premier à en être victime est Rustu Kuzuku, 52 ans, patron de « Alp Bazar-immobilier-décoration », encore profondément marqué par ces dégradations commises dans la nuit du 8 au 9 mars. « J’ai très peur. Cela fait quarante ans que je suis en France. J’ai été routier, j’ai sillonné les routes. Je n’ai jamais vu ça… Je n’ai jamais été victime de racisme », confie le commerçant, costaud mais éprouvé, qui a recouvert de peinture blanche le coin de façade rose entaché par l’inscription venimeuse.
Il aurait pu s’agir d’un acte isolé sauf que… À Arbouans, sous le pont de l’A 36, le mur bétonné est sali de la même injure. Exactement la même jusqu’à la police de l’écriture.
Mais le coup de grâce est survenu la nuit du 26 au 27 mars. Au Méga-Frais, magasin d’alimentation situé dans la zone des Combottes, la façade orange latérale a été maculée de ces quelques mots (les mêmes) qui font froid dans le dos.
Le patron, Senoel Sahinbay, 35 ans, et ses amis accusent le coup : « Je l’ai découvert ce matin, à 5 h. Je venais préparer les denrées pour le marché d’Audincourt. J’ai vu ça. Je me suis dit ‘‘Ce n’est pas possible’’. Moralement, on a du mal », reconnaît le commerçant, qui a déposé plainte, tout comme Rustu Kuzuku.
« Je paie mes impôts en France »
L’inscription n’a pas été faite au hasard, le Boroillot en est persuadé. « Le vendredi est le jour de prière. Tous les fidèles passent par là pour aller à la mosquée [N.D.L.R. : située juste à côté]. Il y avait une volonté de choquer, de nuire, de traumatiser. L’endroit était ciblé », assène le jeune père de famille, 35 ans, à l’élocution rapide, signe sans doute du stress engendré par la situation.
En quatre ans d’activité au Méga-Frais, le trentenaire n’a jamais eu à pâtir d’un acte xénophobe : « On a de plus en plus de craintes. Aujourd’hui, ce sont des dégradations et demain ce sera quoi ? Des insultes verbales, des menaces, des violences ? Est-ce qu’on a encore une place en France ? Là -bas, en Turquie, on est aussi à moitié des étrangers. C’est compliqué. J’ai aussi très peur pour mes enfants même si, à l’école, tout se passe très bien. » Surtout, il y a, chez lui et dans l’ensemble de cette communauté tranquille, le sentiment d’une terrible injustice : « Je suis français. Je n’ai jamais eu aucun souci. Je travaille. Je paie mes impôts comme mes collègues. Les gens confondent tout. On sent un regain de tension depuis les attentats de janvier. Surtout, ces personnes profitent de la montée du FN et des élections pour pousser à la haine. C’est inadmissible. Nous, nous sommes ouverts à la discussion, au débat. On peut parler, exprimer son inquiétude. Mais commettre de telles dégradations, c’est idiot, absurde. La France n’arrivera jamais à évoluer, d’un point de vue culturel et économique, avec des habitants repliés sur eux-mêmes. »
Trésorier de l’amicale des amis turcs et français de Valentigney, Mesut Ugur, tout aussi désolé, relève : « Ces gens affirment qu’ils soutiennent la France et ils ne sont même pas capables d’orthographier ce mot correctement » : le ‘‘N’’ avait été oublié…
La Préfecture : « Inadmissible »
Dès qu’il a eu connaissance de ces tags, hier matin, le sous-préfet de Montbéliard Jackie Leroux-Heurtaux a contacté Senoel Sahunbay. Il lui a fait part de sa solidarité et lui a assuré que tout serait mis en œuvre pour retrouver les auteurs. Directrice de cabinet de la Préfecture du Doubs, Isabelle Epaillard précise : « Ces actes, qui plus est perpétrés à côté d’un lieu de culte, sont inadmissibles. Il ne faut rien laisser passer. S’ils se reproduisent et si des commerçants ont des craintes, ils doivent le signaler et porter plainte immédiatement. Une enquête est diligentée par la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) du Doubs. Avec Monsieur Leroux-Heurtaux, nous rencontrons régulièrement les responsables des cultes, nous sommes vigilants, nous sommes toujours à leur écoute ».
Aude LAMBERT
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