Nous l’appellerons Quentin. Cet universitaire, francophone, de nationalité étrangère, souhaite garder l’anonymat. « Si je donne ma nationalité, ils sauront qu’il s’agit de moi ».
Quentin a subi le coup d’État avorté en juillet 2016 en Turquie. Un coup d’État qui a conduit à la fermeture de son université, au limogeage de ses 600 employés, à l’arrestation de nombreux enseignants et au renvoi hors des frontières des autres. Sans parler des 135 000 autres personnes, juristes, journalistes ou personnalités politiques, victimes de la purge menée par le gouvernement.
Son chemin vers la Turquie
Quentin a vécu et travaillé pendant presque quatre années comme maître de conférences dans l’une des universités d’Ankara, en Turquie. Ce spécialiste des relations internationales et des sciences politiques fait ses études en France, à Toulouse. Une fois diplômé, il se met à la recherche d’un poste.
« Je voulais une expérience. En France, il est très difficile d’obtenir un poste fixe. J’ai finalement eu une proposition à Ankara. »
En Turquie, il apprend la langue, mais enseigne surtout en anglais. Son université accueille énormément d’étrangers, professeurs et étudiants.
La tentative de coup d’État
Comme chaque été, la famille de Quentin prend ses vacances. Celle-ci séjourne en Europe quand la tentative de coup d’État a lieu, le 15 juillet 2016. Très vite, le gouvernement turc accuse Fethulah Gülen, rival du président turc Recep Tayyip Erdogan, exilé aux États-Unis et à la tête d’un mouvement et d’une idéologie puissante en Turquie, d’être à l’origine du putsch.
Quelques jours plus tard, l’État annonce la fermeture de toutes les organisations en lien avec Fethulah Gülen. L’université de Quentin fait partie de la liste. Une absurdité, selon lui.
« L’université fait partie d’une fondation dont le premier ministre turc faisait lui-même partie. Nous travaillions légalement, tout était officiel. Je ne sais même pas comment la faculté est reliée à Gülen. »
Quant au coup d’État en lui-même, la question sur la véritable identité des exécutants reste entière. « En moins d’une semaine, le gouvernement a établi la liste de 135 000 personnes à expulserou arrêter. Comment une telle liste a pu être prête si vite ? »
Bloqué à la frontière
Dans les jours qui suivent, aucune information ne filtre sur le devenir de l’université. Quentin décide de retourner en Turquie.
Il ne remettra en réalité plus les pieds sur le sol turc. Fiché, les autorités ne le laisseront pas franchir la frontière et lui notifieront son interdiction de séjour. Tous les effets personnels de sa famille (maison, habits, voiture…) seront réquisitionnés par le gouvernement. Très vite, leurs comptes en banque sont également bloqués.
« Aucune raison ne m’a été donnée. Ils ont pris mon téléphone pour m’empêcher de contacter qui que ce soit, comme si j’étais un terroriste. J’enseigne les relations internationales, mais je ne travaille même pas sur la politique de la Turquie… Le simple fait d’avoir travaillé dans cette université vous fait passer pour un conspirateur. »
« Des pratiques staliniennes »
Il apprendra par la suite que le recteur de l’université et des enseignants turcs ont été arrêtés et emprisonnés. D’autres se sont vus confisquer leurs passeports. Les 7 000 étudiants de la faculté apprendront, eux, leur impossibilité d’aller au bout de leurs diplômes. La peur règne dans le pays et les arrestations arbitraires contraignent les Turcs à se taire.
« Ce sont des pratiques d’un autre temps, des pratiques staliniennes. J’ai essayé de contacter un avocat en Turquie, mais ils ont tous peur. »
Quentin aussi a peur. Peur qu’on le reconnaisse sur ce témoignage. Les supposés opposants au régime sont traqués dans la presse étrangère. « Ils craignent la critique. Ils sont capables d’afficher ma photo sur les unes des journaux ». Car la purge a également permis au gouvernement de ne garder que des « amis » au sein des rédactions.
Toulouse, terre d’asile
Quentin et sa famille sont donc priés de repartir à zéro.
« Je ne savais pas quoi faire. Il a fallu trouver un lieu où se stabiliser, ne serait-ce que pour les enfants. »
Francophone, diplômé en France et bénéficiaire d’un droit de séjour, Quentin choisit donc Toulouse. Installé depuis deux mois dans la Ville rose, il est à la recherche active de travail, auprès de l’IEP (Institut d’études politiques) ou d’autres instituts.
Mais la douche a été froide et l’amertume est palpable.
« C’est une injustice totale. On vole la vie des gens et leurs biens sans explications. »
Quentin espère que son témoignage aidera à « faire prendre conscience aux gens de ce qui se passe dans ce pays, même s’il s’agit surtout de faire réagir les Turcs… ».