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Par notre correspondant en Algérie, Adlène Meddi
Stratégie. Erdogan entend faire de ce pays son premier partenaire économique en Afrique.
Caution. L’épouse du président turc à l’inauguration de la mosquée Ketchaoua restaurée, à Alger, le 27 février.
On attendait le maître d’Istanbul, mais, en cette fin de février, c’est son épouse, Emine Erdogan, qui s’est rendue à la mosquée Ketchaoua, dans la basse casbah. La cérémonie qui devait réunir les présidents algérien et turc a été annulée in extremis, Abdelaziz Bouteflika étant affaibli par la maladie. Au pied des marches de Ketchaoua, mosquée du XVIIe siècle au style romano-byzantin et arabo-ottoman, restaurée par des entreprises turques avec l’argent d’Ankara, la foule applaudit la première dame de Turquie. Mais les youyous ne compensent pas la déception du public. « Je suis venu de Batna pour le voir, c’est dommage », raconte un homme qui a parcouru 400 kilomètres pour « serrer la main de ce grand leader du monde musulman ». A côté de lui, un vieil Algérois relativise : « Ce n’est pas grave, l’essentiel, c’est qu’il soit ici, en Algérie, chez lui, c’est sa seconde patrie. »
« Sa seconde patrie » ? A l’occasion de la visite de Recep Tayyip Erdogan dans un pays qui a connu trois siècles de domination ottomane, la question a fait polémique. L’écrivain et journaliste oranais Kamel Daoud avait déclenché les hostilités dans une « Lettre ouverte à Erdogan » : « Au nom de ceux que vous avez tués, emprisonnés, torturés, Erdogan, vous n’êtes pas le bienvenu ! Non, Erdogan, vous n’êtes pas le bienvenu en Algérie. Nous sommes un pays qui a déjà payé son tribut de sang et de larmes à ceux qui voulaient nous imposer leur califat. » A cette charge violente le président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Abderrazak Makri, chef de file des Frères musulmans en Algérie, a immédiatement répondu. « Je ne voulais pas intervenir, mais je l’ai fait, n’en déplaise aux traîtres, aux collaborateurs et à ceux qui renient leur civilisation et leur culture. Ceux-là expriment leur rancœur contre tout ce qui a trait à l’islam et aux musulmans. Je souhaite la bienvenue à Erdogan. Ils ont accueilli Macron et s’attaquent à Erdogan. Un parfait exemple de reniement », écrit l’islamiste sur sa page Facebook, en faisant allusion au déjeuner organisé à Alger entre des écrivains et des acteurs de la société civile et Emmanuel Macron, lors de sa visite en Algérie, en décembre 2017. « Le reniement, cher Makri, c’est quand une personne se rend à Istanbul pour assister au congrès des Frères musulmans et se fait nourrir et enrichir par Erdogan pour trahir son pays, réplique Daoud. En ce qui concerne mes attaques contre l’islam, cessez de mentir. Erdogan n’est pas l’islam, Erdogan est votre dieu, pas le mien, et vous n’êtes ni l’islam ni le Prophète. »
Ping-pong. Au milieu de cette partie de ping-pong s’est engouffré, au côté de Daoud, un autre chroniqueur, M. A. Boumendil : « Erdogan ne désespère pas de relancer le pseudo-processus révolutionnaire puisque, il y a quelques jours seulement, se tenait une réunion de l’Internationale islamiste à Ankara, avec comme principal point celui de “donner un nouveau souffle’’ aux révoltes du Printemps arabe. Erdogan ne cache donc même plus son ambition d’exercer son leadership sur l’ensemble de cette mouvance qui gangrène tous les pays où elle est présente. Makri, le chef du MSP, a lui-même fait état, sur sa page Facebook, de sa participation à cette rencontre. »
Côté officiel, les choses sont moins tranchées. Certes, Alger voit en Ankara un important partenaire économique – la Turquie occupe la première place en termes d’investissements mixtes en Algérie – ainsi qu’un interlocuteur obligé pour les questions géostratégiques. Certes, Alger aime être aux petits soins pour ses invités officiels turcs : Erdogan a été surpris, lors de sa visite en février, par la fête d’anniversaire concoctée au siège des Affaires étrangères algériennes à l’occasion de ses 64 ans. Néanmoins, Alger apprécie moins les prises en otage de son histoire coloniale par Erdogan et ses liens de plus en plus forts avec l’opposition algérienne des Frères musulmans.
Sang. Lors de son dernier séjour à Alger, Erdogan a répondu à un journaliste algérien qui lui demandait si les Ottomans avaient été des colonisateurs en Algérie : « Si les Turcs ottomans étaient des colonisateurs, cette question, tu ne l’aurais pas posée en français, mais en turc ! » Les références à la colonisation française en Algérie sont fréquentes chez le président turc. Le 7 mai, lors d’une remise de prix pour la paix à Istanbul, il avait lancé : « Les Français ont massacré 5 millions de musulmans en Algérie. Ils ont commis également un massacre énorme en Libye. Mais le monde s’est tu. Il en sera de même plus tard, car c’est leur structure, leur caractère. » En 2011, après l’adoption en France d’une loi punissant la négation du génocide, notamment celui commis en Arménie, Erdogan, alors Premier ministre, avait accusé la France d’en avoir perpétré un en Algérie, affirmant : « 15 % de la population algérienne a été massacrée par les Français à partir de 1945. » Il avait ajouté : « Si le président français Nicolas Sarkozy ne sait pas qu’il y a eu un génocide, il peut demander à son père, Pal Sarkozy, qui a été légionnaire en Algérie dans les années 1940. Je suis sûr qu’ila beaucoup de choses à dire à son fils sur les massacres commis par les Français en Algérie. » Des affirmations telles que le père de l’ex-président avait dû les démentir sur BFMTV : « Je n’ai jamais été en Algérie, je n’ai pas dépassé Marseille. Et j’ai été pendant quatre mois à la Légion. » Mais, à l’époque, c’est la réplique d’Alger qui désarçonna Ankara : « Personne n’a le droit de faire du sang des Algériens un fonds de commerce, avait martelé le Premier ministre, Ahmed Ouyahia. La Turquie a toujours voté contre toutes les résolutions favorables à l’Algérie durant la révolution. La Turquie, qui était membre de l’Otan pendant la guerre d’Algérie et qui l’est encore, a fourni des moyens militaires à la France dans sa guerre en Algérie, au moins par l’achat d’une bombe larguée en Algérie ou d’une balle tirée contre des Algériens. » Ankara n’a jamais répondu, laissant le soin aux islamistes algériens de riposter à Ouyahia : « Cette déclaration est un service rendu à Sarkozy, qui s’est immiscé dans un problème entre la Turquie et l’Arménie sans que celle-ci l’accuse de marchander le sang des Arméniens », dénonça le parti islamiste El-Islah.
Accointances. Justement, ce sont ces accointances entre la branche algérienne des Frères musulmans et le pouvoir turc qui agacent les autorités algériennes. Le MSP se voit comme l’AKP algérien et rêve d’une victoire politique à moyen terme en surfant sur la réussite d’Erdogan. Le parti d’Abderrazak Makri a été la seule formation politique algérienne à féliciter Erdogan d’avoir déjoué la tentative de putsch de juillet 2016, malgré la prudence d’Alger sur cette question. Le même parti islamiste semble aussi s’accommoder de l’alliance de la Turquie avec Israël, pourtant bête noire de cette formation qui se veut partenaire du Hamas palestinien. « Le MSP, dans sa course vers une plus grande influence, notamment sur le plan international grâce à Ankara, s’accommodera de tout ce que vous voulez », fait remarquer une source officielle algérienne, qui affirme que « les autorités surveillent de loin les agissements de nos islamistes sur la scène régionale et internationale ». « Nous respectons nos partenaires en évitant notamment de nous ingérer dans leurs affaires, conclut le responsable. Nous exigeons la même attitude de leur part. »
ANIS BELGHOUL/AP/SIPA – ANDBZ/ABACA – KAYHAN OZER/AP/SIPA – ILLUSTRATION : HIC POUR « LE POINT »
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