11 députés arrêtés, les locaux perquisitionnés
Alors que la Turquie est impliquée en Irak dans la bataille de Mossoul, les tensions intérieures avec les Kurdes redoublent. Dans la nuit de jeudi à vendredi, les deux coprésidents du HDP, le principal parti prokurde du pays, Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag, qui sont également députés, ont été placés en garde à vue dans le cadre d’une enquête instruite par le parquet de Diyarbakir (dans le sud-est du pays) portant sur des liens présumés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), selon l’agence de presse progouvernementale Anadolu. Au moins neuf autres députés du HDP (Parti démocratique des peuples), troisième force parlementaire en Turquie, ont été placés en garde à vue, et plusieurs autres étaient visés par un mandat d’arrêt, ont rapporté les chaînes d’information NTV et CNN-Türk.
La police a également mené des perquisitions dans les locaux du HDP à Ankara. Des images diffusées par la télévision montrent des responsables du parti apostrophant la police et un journaliste de Reuters a constaté que des véhicules de police bouclaient les alentours du bâtiment. Le HDP a posté sur son compte Twitter une vidéo qui semble montrer l’interpellation de Mme Yüksekdag à son domicile à Ankara. «Votre procureur est un bandit et vous aussi êtes des bandits!», crie la co-dirigeante du parti à l’endroit des policiers. Suite à ce coup de filet, les réseaux sociaux Twitter et Whatsapp ont été bloqués dans le pays.
Accusés de liens avec le PKK terroriste
Les autorités turques reprochent aux parlementaires d’avoir refusé de témoigner dans des dossiers liés à «la propagande terroriste», ont expliqué leurs avocats.«Le HDP appelle la communauté internationale à réagir contre le coup d’État que mène le régime d’Erdogan», a déclaré le HDP sur son compte Twitter.«C’est une très mauvaise nouvelle pour la Turquie. Encore une fois», a déploré sur son compte Twitter Kati Piri, rapporteur du Parlement européen sur la Turquie.
A total of 11 #HDP MPs, including co-chairs, have been detained up to now. pic.twitter.com/lbaJ3QAdBN
Cette opération policière survient alors que la Turquie vit sous état d’urgence depuis la tentative de coup d’État de juillet. Plusieurs pays européens et ONG accusent les autorités turques de ne pas se limiter aux présumés putschistes et de cibler des opposants. Demirtas, parfois surnommé l’ «Obama kurde» en raison de son charisme, a longtemps été considéré comme un potentiel rival d’Erdogan sur une scène politique dominée par le chef de l’État turc. Sous son impulsion, le HDP a élargi sa base électorale au-delà de la seule communauté kurde de Turquie (15 millions de personnes) et s’est transformé en un parti moderne, à la fibre sociale et ouvert aux femmes et à toutes les minorités.
Après l’entrée du HDP au Parlement, en juin 2015, une première qui a contribué à priver le parti AKP au pouvoir de la majorité absolue, Erdogan a fait de Demirtas sa bête noire, multipliant les attaques personnelles et les accusations de liens avec le PKK. Le président considère que le HDP est étroitement lié au PKK et a fait savoir qu’il ne considérait plus cette formation comme un interlocuteur légitime, qualifiant régulièrement ses membres de «terroristes». En mai, le Parlement turc a voté la levée de l’immunité des députés menacés de poursuites judiciaires, une mesure contestée visant notamment les élus du HDP.
Un attentat fait un mort à Diyarbakir
Ce vaste coup de filet nocturne intervient dans un contexte très tendu, notamment depuis le placement en détention des deux maires de Diyarbakir, «capitale» du sud-est à majorité kurde de la Turquie ensanglanté par des combats quotidiens entre forces de sécurité et membres du PKK, considéré comme un groupe terroriste par Ankara, mais aussi les États-Unis et l’Union européenne .
Quelques heures après l’arrestation des deux dirigeants, une explosion a retenti vendredi dans le centre de Diyarbakir, près d’un commissariat de police où sont gardés à vue plusieurs des parlementaires du HDP. Une vingtaine de personnes ont été blessées, dont deux grièvement, et de nombreuses ambulances ont été dépêchées sur les lieux de l’explosion, ont indiqué les responsables de sécurité à l’Agence France-Presse sous couvert d’anonymat. Des coups de feu ont éclaté après la déflagration.Son origine reste inconnue, mais des témoins affirment qu’elle a été entendue jusqu’aux abords de la ville.