Depuis onze jours que dure le blocus de Kuruköy (nom turc), c’est-à-dire Xerabê Bawa, les spéculations vont bon train. Les forces spéciales de la gendarmerie ont encerclé le village, interdisant aux habitants de sortir de chez eux. Une délégation menée par le parti prokurde HDP s’est également vu refuser l’accès aux lieux. “Les photos qui circulent sur les réseaux sociaux sont passablement glaçantes”, s’inquiète l’éditorialiste du site d’informations T24. “On y voit des corps suppliciés et des hommes en tenue militaire qui posent devant eux en faisant le signe des loups gris [signe de ralliement de l’extrême droite turque].

Si les médias officiels observent pour le moment un prudent silence, les journaux et cercles politiques de l’opposition ont commencé à se saisir du sujet. Mercredi 22 février, un député du parti kémaliste CHP a porté la question devant le Parlement, rapporte le journal de la communauté arménienne Agos. “Combien de personnes ont perdu la vie à Kuruköy entre le 10 et le 20 février ? Est-il exact que des villageois figurent parmi les victimes ?” interroge-t-il.

 

Le Premier ministre Binali Yildirim s’est pour le moment gardé de répondre. La préfecture de Mardin, le chef-lieu de la région, a quant à elle fait savoir qu’une opération militaire était bel et bien en cours dans la bourgade. D’après les autorités, Xerabê Bawa compterait “un grand nombre de caches et de dépôts d’armes de l’organisation terroriste séparatiste du PKK. “Quatre terroristes armés ont été neutralisés à la suite des affrontements”, ajoute la préfecture, citée par Agos.

 

Le journal en ligne Şûjin, installé à Diyarbakir, a quant à lui recueilli les témoignages de villageoises qui sont parvenues à s’échapper du village. “Le quatrième jour, les militaires ont envahi et fouillé ma maison, rapporte l’une d’entre elles. Les militaires ont frappé mon mari et menacé de nous bombarder si je parlais. On nous a fait signer un document. Mon mari et moi, nous ne savons pas lire ni écrire. Des gaz lacrymogènes ont été lâchés dans le village, nous n’arrivions plus à ouvrir les yeux”, ajoute-t-elle.

Au cœur de la tourmente depuis plus de vingt ans

Ce n’est pas la première fois que ce village se retrouve au cœur de la tourmente. Le site T24 rappelle que durant les années 1990, au plus fort de la guerre opposant l’État turc à la guérilla kurde du PKK, le village avait déjà été le théâtre d’affrontements et d’innombrables exactions. “On prétend que des corps ont été profanés. On prétend que des habitants ont été laissés sans eau ni nourriture. On prétend que des maisons ont été brûlées”, s’indigne l’éditorialiste.

 

« En vingt-trois ans, nous n’avons pas progressé d’un pouce. L’État est le même aujourd’hui qu’hier ! Si nous ne protestons pas contre ce qui se passe à Xerabê, alors il faut bien voir que nous assisterons aux mêmes horreurs qu’il y a vingt-trois ans !”

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