Dimanche 9 juillet, à l’occasion de l’arrivée à Istanbul de la “marche pour la justice”, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées pour dénoncer la dérive autoritaire du pouvoir de Recep Tayyip Erdogan. Cette marche, partie le 15 juin de la capitale Ankara, s’était organisée après la condamnation et l’emprisonnement d’un député du principal parti d’opposition CHP, le Parti républicain du peuple, parti historique du fondateur de la République turque Mustafa Kemal Atatürk, qui fait de la laïcité son cheval de bataille. Le meeting géant, qui a réuni 1,5 million de manifestants selon ses organisateurs, était majoritairement composé de sympathisants du CHP. Mais des électeurs du parti pro-kurde HDP, des militants de la gauche et de l’extrême gauche turque, des syndicalistes et des associations se sont également ralliés à l’événement.

 

La presse d’opposition ne cache pas son soutien au rassemblement, et laisse même éclater son enthousiasme, comme le fait un célèbre éditorialiste du quotidien Hürriyet :

Une évidence s’impose : la Turquie d’aujourd’hui n’est plus la Turquie d’il y a vingt-cinq jours, avant la marche pour la justice. Kiliçdaroglu(le leader du CHP), en se lançant dans cette marche après la condamnation du député CHP Enis Berberoglu à vingt-cinq ans de prison, n’a pas seulement influé sur le gouvernement de l’AKP ou sur son parti CHPil a aussi changé la manière de faire de la politique, […], lui qui était pourtant accusé de ne pas être assez dur dans son rôle d’opposant, d’avoir perdu son lien avec la rue, d’avoir refusé d’appeler les gens à descendre manifester après le référendum du 16 avril [validant une réforme constitutionnelle renforçant les pouvoirs du président Erdogan].”

De nombreux journaux se réjouissent que l’opposition soit sortie de sa torpeur, comme Sözcü, un quotidien nationaliste et kémaliste : “L’AKP, en se servant de l’état d’urgence, a rendu le Parlement impuissant, emprisonné une grande partie des députés et des maires issus du deuxième parti d’opposition HDP, en accusant tout le monde de terrorisme, et a créé un ‘empire de la peur’ pour les journalistes et les universitaires. Les citoyens turcs, en criant ‘Justice’ sur les routes, ont montré qu’ils n’adhéraient pas aux catégories de ‘terroriste’ ni d’‘intérêt national’ telles qu’elles sont dictées par le leader unique. Ils ont montré qu’ils ne partageaient pas le point de vue selon lequel ‘l’AKP c’est la Turquie’.”

Pas en mon nom !

La presse proche du pouvoir reprend majoritairement le discours tenu par le président et le Premier ministre, prompts à faire de ces opposants des soutiens du terrorisme. “Et tu oses dire que tu as marché au nom de 80millions de personnes, pour l’amour de Dieu, quand, en sous-main, tu marches bras dessus bras dessous avec le PKK [Parti des travailleurs duKurdistan, considéré comme groupe terroriste par la Turquie et une grande partie de la communauté internationale], le DHKP-C [organisation d’extrême gauche] et FETÖ [mouvement islamiste Gülen]. Ne le fais pas en mon nom !” s’indigne une journaliste de Yeni Akit, titre de presse islamiste proche du gouvernement.

 

Dans les colonnes du quotidien progouvernement Sabah, un éditorialiste s’inquiète de l’atmosphère qui règne dans le pays.

Une réalité dont les racines se trouvent dans le passé, mais qui s’ancre davantage à chaque jour qui passe, s’impose : en Turquie, on ne fait pas de politique, on fait la guerre. Et cette situation ne va faire que s’enflammer à l’avenir. Cette polarisation fortement enracinée, en grandissant, prend un caractère pathologique. Face à cela, des mesures doivent être prises des deux côtés. Le pouvoir comme l’opposition doivent faire preuve de responsabilité et adopter une position constructive. Sinon, la situation du pays va devenir très problématique.”