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Le Figaro, le 30/08/2019
Par Delphine Minoui
GRAND REPORTAGE
Purgés des universités pour avoir signé, en 2016, une pétition pour la paix, des centaines de professeurs défient quotidiennement le président Erdogan en inventant de nouvelles façons d’enseigner. Un monde parallèle qui tremble, vibre, bouge et cherche à se réveiller de sa torpeur imposée.
Ni sonnette. Ni plaque signalétique. Une simple porte d’entrée en guise de point de repère. Dans cette ruelle sobrement éclairée par le visage inopiné de Fidel Castro – l’enseigne d’un café mitoyen -, des ombres se faufilent à l’intérieur d’un immeuble. Au premier étage, dans ce qui ressemble à un appartement, l’accueil est à la fête: accolades, fous rires, tasses de thé circulant de main en main. Umit Biçer, ex-professeur de médecine légale, sort la tête du couloir: «Vous êtes venue pour le séminaire sur l’homosexualité?» Une jeune femme opine de la tête. C’est sa «première fois», dit-elle. Son premier cours hors les murs, dans une de ces nouvelles universités sans campus qui défient en catimini les purges du président Erdogan.
Nous sommes à Kocaeli, ville industrielle des bords de la mer de Marmara, à 100 kilomètres d’Istanbul, où la première vague d’épuration s’est abattue sur 39 universitaires – dont Umit Biçer. C’était en septembre 2016. Deux mois plus tôt, le 15 juillet, l’homme fort du pays avait échappé de justesse à un putsch raté. Pressé de rétablir l’ordre, il s’était lancé dans une chasse aux partisans de Fethullah Gülen, un ancien allié soupçonné d’avoir tenté de le renverser. Aussitôt, une répression sans précédent avait emporté dans son sillage opposants, journalistes, avocats, mais aussi des centaines d’universitaires accusés, comme Umit, de «soutenir le terrorisme». «Tout ça pour avoir signé, en janvier 2016, une pétition pour la paix dans les régions kurdes du Sud-Est. Kafkaïen!», dit-il.
Des purgés par milliers
En trois ans, 150.000 fonctionnaires ont été remerciés, et près de 50.000 jetés derrière les barreaux. À ce jour, quelque 700 professeurs sont poursuivis en justice à cause d’un simple nom au bas de la pétition. Cet été, la Cour constitutionnelle leur a redonné espoir en qualifiant ces poursuites de «violation de la liberté d’expression», ce qui pourrait permettre une révision des jugements. Mais d’ici à la reprise des procès, le 5 septembre, leur avenir reste aussi opaque que le ciel pollué qui étouffe Kocaeli. Derrière les murs, la fougue est pourtant au rendez-vous. «Nous reviendrons!» («Geri Dönecegiz», en turc), promet Kuvvet Lordoglu, en écho au slogan scandé à l’unisson lors de son éviction, en 2016. Lunettes vissées sur le visage, ce professeur d’économie a tout perdu: travail, salaire, Sécurité sociale, ainsi que son passeport, annulé par les autorités turques. «L’université a même effacé mon nom des livres dont j’étais l’auteur!» s’exclame-t-il. Une condamnation au silence dont il prit connaissance, comme les autres, par décret-loi publié au Journal officiel!
«Le rêve d’une Turquie plurielle qui résiste aux coups de marqueur»
Kuvvet Lordoglu
Rien n’arrête cet intellectuel. «Le soir de mon licenciement, se souvient-il, on est allés boire des verres de bière et de raki avec les copains purgés. Et on s’est dit: impossible d’abandonner nos élèves. Il fallait à tout prix trouver un moyen de continuer à enseigner.» En une soirée, l’Académie solidaire de Kocaeli (Kocaeli Dayanisma Akademisi, ou Koda) est ainsi née: une université alternative dédiée à la pensée critique et au débat d’idées. «Le rêve d’une Turquie plurielle qui résiste aux coups de marqueur», dit-il. Le lieu est vite trouvé: un modeste appartement, mis à disposition par le syndicat des enseignants, Egitim Sen, lové dans le même immeuble. En quelques semaines, les séminaires sont lancés: «Femmes et laïcité», «Marxisme et cinéma», «Cancer et fascisme». «Des thèmes engagés qui n’ont plus droit de cité sur les campus», confie Umit Biçer.
Un silence recueilli interrompt le brouhaha. Dans la pièce du fond, improvisée en amphithéâtre, l’intervenant du jour se fraye un chemin entre les rangées de chaises en Formica. Face à un parterre noir de monde, Remzi Altunpolat, un militant LGBT, entame son exposé sur les queers de Turquie, tolérés, mais de plus en plus stigmatisés. «Ici, on peut dire tout ce qu’on pense. Plus qu’une université, Koda est une école de la résistance», s’enthousiasme un étudiant.
L’école de la résistance
En trois ans, les petits cailloux semés par Kocaeli ont tracé les chemins de traverse d’une Turquie insoumise: un monde parallèle peuplé de professeurs limogés, d’étudiants rebelles et de chercheurs engagés. À 43 ans, Ulas Bayraktar est de ces mercenaires de la paix. En 2016, cet enseignant en sciences politiques de la cité balnéaire de Mersin, au sud de la Turquie, signa sans hésiter le fameux texte exigeant la fin des massacres commis par l’armée turque dans les régions kurdes. «Quelques mois plus tôt, les combats contre la rébellion du PKK avaient repris dans le Sud-Est. Les civils étaient pris en étau, victimes collatérales d’un usage disproportionné de la force. On se sentait impuissants. On a voulu exprimer notre désaccord», confie l’homme aux yeux gris-vert.
Intitulée «Nous ne serons pas complices de ce crime», la missive déclencha la foudre d’Erdogan. À l’instar des 1 128 signataires – ultérieurement rejoints par 1000 autres -, Ulas est traité de «traître», de «pseudo-intellectuel». Puis, dans la foulée de la répression postputsch, son nom échoue sur la liste à rallonge des «supporters du terrorisme». Absurde: en 1980, à l’âge de 4 ans, Ulas perdit son père, un soldat de l’armée turque, dans un attentat perpétré par Apocular, un groupe séparatiste kurde précurseur du PKK. Mais le pouvoir a la mémoire courte. «Ils ont même récemment changé le nom du parc qui portait celui de mon père!» se désole-t-il. Lui qui paya si jeune le prix de la violence refuse de se laisser démonter. Peu après son limogeage, en avril 2017, il fonde Kültürhane (la maison de la culture), au cœur de Mersin. «Un lieu d’échanges, de tolérance. Nous ne sommes pas dans l’opposition, nous sommes dans la discussion», prévient-il.
Éviter la tentation de la mer
Dans cette agora nimbée de lumière, située dans une ex-boutique, tout a été pensé dans le moindre détail: le salon-cafétéria qui se transforme en ciné-club, la salle de conférences à l’étage, la vitrine remplie d’ouvrages rédigés par les copains purgés. «L’université de Mersin cherche à dissuader mes étudiants de venir ici», souffle Ulas. Rien n’y fait: ils sont là, sirotant un café au bar ou révisant leurs examens dans la bibliothèque qui porte symboliquement le nom de Mehmet Fatih Tras, un assistant professeur qui s’est jeté du septième étage de son immeuble après sa radiation de l’université. En trois ans, une quarantaine de fonctionnaires purgés ont mis fin à leurs jours. «Perdre son poste, c’est d’une violence inouïe. Vous êtes mis au ban de la société. Personne ne veut vous embaucher. Parfois, vos amis ne vous parlent plus. La moindre des choses est de ne pas condamner les noms des victimes à l’oubli», dénonce Bediz, l’épouse d’Ulas.
Le sien a été gravé sur une des tables qui occupent la terrasse de Kültürhane, chacune frappée du nom d’un des nombreux professeurs réfugiés à l’étranger. «On n’a pas encore eu le temps de retirer mon nom», sourit l’enseignante en sociologie urbaine. Elle aussi a d’abord pris le large au début de la os fils dans le privé.»
Pour éviter la tentation de la mer, recours ultime de certains purgés, Ulas a vendu le bateau familial. «En plus, ça nous a permis de mettre un peu d’argent de côté», dit-il. Car il faut bien survivre: les professeurs écartés vivotent avec une mini subvention du syndicat des enseignants. Pour le reste, c’est l’école de la débrouille.
Système D pour survivre
À Eskisehir, sur le plateau anatolien, les enseignants purgés ont, eux, opté pour la cave d’un café. Quelques gradins, un rétroprojecteur, un pupitre: l’espace est sobre, mais accueillant. «Erdogan a beau vouloir reformater les universités, il ne parviendra pas à changer les mentalités», prévient Zeynep Erk Emeksiz, une ex-assistante professeur de l’université Anadolu, à l’origine de cette «École d’Eskisehir» – clin d’œil à l’école de Francfort. En bas de l’escalier, la salle frémit d’une agitation singulière: ils sont nombreux, ce soir, à venir assister à un cours intitulé «Rapports entre habitudes alimentaires et penchants politiques», aussi atypique que le professeur de sociologie qui le dispense. Ni signataire ni purgé, il exerce encore sur le campus.
«Venir enseigner dans ce café, c’est ma façon de protester, dit-il en préférant taire son nom. À l’université, je m’autocensure. Avant, le campus bouillonnait d’activités et de célébrations, comme la Journée de la femme. Aujourd’hui, la moindre voix contestataire est désormais traquée. Les manifestations sont réprimées. Des enseignants timorés ou aux ordres du pouvoir remplacent les profs purgés. Et depuis le putsch raté, c’est Erdogan qui nomme les recteurs d’université.» D’où cette soif d’investir de nouveaux espaces d’expression.
Des cours en ligne
À 48 ans, Zafer Güzey a trouvé la solution. Viré du conservatoire de musique d’Eskisehir, ce luthier de renom vend des çig köfte (boulettes de boulgour) pour survivre. Son nouveau restaurant, aux murs décorés d’instruments, s’est vite transformé en salle de répétition. «Si réclamer la paix est un crime, alors nous sommes tous criminels. Ma seule arme, c’est la musique!» lance-t-il en agrippant son târ (luth). Derrière la porte vitrée, un homme s’arrête, tourne la poignée et rejoint Zafer sur la banquette. Ozan Devrim Yay, 45 ans, est professeur d’ingénierie, lui aussi limogé. Ici, il est un peu comme chez lui: avec une dizaine d’acolytes, les deux amis ont fondé un groupe, Les Mélodies de la paix. «L’idée est née après l’arrestation de quatre signataires au début de la purge. Pour dénoncer leur incarcération, on a joué devant la prison de Silivri, à côté d’Istanbul. Deux mois plus tard, ils étaient relâchés. Mais on a continué à organiser des concerts», explique-t-il.
«Le pouvoir fait tout pour nous faire taire, mais on ne se laissera pas intimider»
Dinçer Demirkent, ex-professeur de droit
Le train qui relie Eskisehir à Ankara file à grande vitesse à travers l’Anatolie. Au bout de deux heures, la capitale surgit du paysage: immense boule d’immeubles sans charme, collés les uns aux autres. En centre-ville, la célèbre statue des droits de l’homme, blottie dans une rue piétonne, semble rattrapée par la répression: penchée sur la Déclaration universelle, la dame de bronze est surveillée jour et nuit par un fourgon de police. C’est ici même que deux enseignants purgés, Nuriye Gülmen et Semih Ozakça, entamèrent une grève de la faim avant d’être embastillés pendant plusieurs mois. «Le pouvoir fait tout pour nous faire taire, mais on ne se laissera pas intimider», prévient Dinçer Demirkent.
L’ex-professeur de droit nous reçoit dans un studio de télévision sommairement équipé: une chaise, une mini caméra, un projecteur et deux fenêtres aux rideaux tirés. Ce jour-là, il est venu enregistrer son cours, qui sera mis en ligne sur le site de la nouvelle «École des droits de l’homme» – 100 % virtuelle, une première en Turquie! «Il y avait urgence à combler le vide laissé par le grand ménage. Nos cours virtuels sont gratuits. Les élèves peuvent piocher parmi une vingtaine de matières: médias et liberté d’expression, minorités, protection de l’environnement», explique Elçin Aktoprak, coordinatrice du projet. La coupe au carré, elle fait partie des 93 professeurs purgés de l’université d’Ankara. Dans son bureau flambant neuf, qui jouxte le studio d’enregistrement, son équipe gère les inscriptions et planifie les cours sponsorisés par l’Union européenne. «Nous croulons sous les demandes. L’autre jour, on a reçu la candidature d’une femme qui habite une bourgade d’Anatolie. Elle écrivait: “Je n’ai jamais milité pour quoi que ce soit. Mais aujourd’hui, j’ai soif d’apprendre pour pouvoir élever ma voix”», confie-t-elle.
Résister en enseignant: l’engagement demeure risqué. «L’étau se resserre», avoue Yasin Durak, 35 ans. L’ex-assistant chercheur en sociologie a choisi la terrasse d’un pub d’Ankara pour narrer sa descente aux enfers. D’abord, les poursuites judiciaires – pour avoir, entre autres, comparé Erdogan à un «monstre». Puis, le limogeage après la pétition. Ensuite, les menaces de mort, le pistolet braqué sur la tempe en pleine rue. Et malgré tout, le refus de flancher.
Une fronde qui reste risquée
Convaincu que la résistance active vaut mieux qu’une grève de la faim – trop passive à son goût -, Yasin fonde avec quelques compères de galère une «street academy» (académie de rue) au début de la purge. Armé d’un simple tableau noir, il entame une tournée des parcs en narguant, d’un trait de craie blanche, les diktats en vigueur. «Le premier cours avait pour thème “Hégémonie et contre-hégémonie”. Nous avons aussi organisé un cours en langue kurde, ou encore un autre sur la violence conjugale, dans un parc d’Ankara où, deux ans plus tôt, un homme avait tué son épouse», raconte-t-il.
Tout un symbole! Le public – étudiants, ouvriers, chauffeurs de taxi, badauds – accroche immédiatement: «A la quatrième séance, nous étions déjà 300!» Au bout de deux ans, la police finit par s’en mêler. «Il y a huit mois, quelque 200 forces antiémeutes ont fait irruption, nous contraignant à renoncer aux cours.» Depuis, Yasin s’est retranché dans la ville balnéaire d’Izmir. «Un exil intérieur», soupire celui qui refuse de quitter son pays. Et qui guette la moindre éclaircie pour redémarrer. «Notre projet est à l’arrêt. Mais le concept n’est pas mort: il suffit d’un tableau et d’une craie pour le faire renaître à tout moment!».
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