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La Croix avec AFP, le 28/11/2019
Peu de femmes seraient ravies d’apprendre que leur mari est en détention. Pourtant, c’est bien la joie qui envahit Sümeyye Yilmaz lorsqu’elle reçoit un appel de la police lui annonçant la nouvelle.
Cela faisait plus de huit mois que son mari, Mustafa Yilmaz, était porté disparu. Elle a d’abord eu du mal à croire les policiers.
«Il y a beaucoup de Mustafa Yilmaz, je ne voulais pas être déçue», confie Mme Yilmaz à l’AFP. Mais dès le lendemain, c’est bel et bien son mari qu’elle serre dans ses bras.
Bien que la police lui ait expliqué que son mari avait été «trouvé» le 21 octobre en bonne santé, elle constate immédiatement qu’il avait perdu beaucoup de poids. Son visage, ses mains, raconte-t-elle, étaient «complètement gelés».
Mme Yilmaz ne peut rien prouver, mais elle craint que son mari ait été torturé. Mustafa Yilmaz, lui, refuse d’expliquer où il était durant ces huit mois, se contentant de répéter qu’il se «cachait».
Sa femme refuse d’y croire : son mari venait de commencer un nouveau travail lorsqu’il a disparu en février et n’avait aucune raison de s’éclipser sans donner de nouvelles.
– «Disparitions forcées» –
Sümeyye Yilmaz, dont le mari Mustafa Yilmaz avait disparu pendant huit mois, lors d’une interview avec l’AFP chez elle, le 21 novembre 2019 à Ankara, en Turquie / AFP/Archives
Selon le décompte de parlementaires et d’activistes locaux, le physiothérapeute de 33 ans est l’un de 28 hommes que les services de sécurité turques sont soupçonnés d’avoir fait disparaître depuis le coup d’Etat manqué de juillet 2016.
La méthode rappelle le souvenir encore vif des pratiques courantes dans les années 1990 contre les opposants politiques en Turquie.
Les raisons de la disparition de ces hommes sont un mystère, comme leur réapparition soudaine dans un poste de police. Les autorités turques n’ont pas donné suite aux multiples sollicitations de l’AFP sur le sujet.
Ozturk Türkdogan, de l’Association des droits humains turque, estime que les disparations sont l’oeuvre d’une «unité» au sein des services de sécurité qui les remet ensuite à la police.
«Ces individus font l’objet d’enquêtes judiciaires. Leur réapparition est généralement révélée lorsqu’ils sont déjà aux mains de la police», explique-t-il.
«Mais ces gens ne disent rien à leur famille ou à leurs avocats. On aurait su ce qui leur était arrivé s’ils avaient parlé», ajoute-t-il.
Mustafa Yilmaz avait été condamné à six ans de prison pour son appartenance au mouvement du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d’avoir fomenté le coup d’Etat manqué de 2016, mais il avait été libéré au début de l’année 2019 dans l’attente de l’examen de son appel.
Yilmaz fait partie d’un groupe de six hommes qui se sont évaporés à quelques jours d’intervalle en Turquie, en février 2019. Tous avaient des liens présumés avec l’organisation guléniste, mais leurs cas restent singuliers dans un pays où des dizaines de milliers de personnes ont été officiellement arrêtées où suspendues depuis le coup manqué.
En juillet, quatre de ces hommes sont, comme M. Yilmaz, subitement «réapparus» dans une cellule de station de police.
Le dernier, Gokhan Turkmen, a resurgi le 5 novembre, quelques jours seulement après Mustafa Yilmaz. Amnesty International a affirmé que l’épouse de Turkmen avait elle aussi constaté «une importante perte de poids et un teint très pâle».
Des groupes de défense des droits humains ont exhorté les autorités turques à mener une enquête sur les circonstances de ce qu’ils décrivent comme de «présumées disparitions forcées».
– «Comme un cauchemar» –
Si certains disparus sont réapparus, d’autres cas de disparations inexpliquées ont récemment été signalés.
Le 6 août, c’est Yusuf Bilge Tunç, 35 ans, qui s’évapore sans laisser de trace. Lui aussi était accusé de liens avec les gulénistes, ce qu’il niait.
Son épouse, qui ne souhaite pas être nommée, affirme qu’il n’y a jamais eu d’«enquête active» sur sa disparition.
Leurs trois enfants, raconte-t-elle, posent de plus en plus de questions sur leur père. «C’est un cauchemar», lâche-t-elle entre deux sanglots.
La famille Tunc, avec l’aide d’un député d’opposition, a fait appel à des organisations locales et internationales, dont la Cour européenne des droits de l’Homme, mais à ce jour en vain.
Mme Tunç affirme toutefois que la réapparition d’autres disparus lui donne de l’espoir. «Je supporte son absence en m’accrochant à l’idée que je finirai par le revoir, par le serrer dans mes bras», explique-t-elle.
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