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L’Express,  le 20/10/2017Â
Ankara – Un nouveau programme scolaire controversé et des milliers d’enseignants limogés ne pouvant assurer leurs cours : en Turquie, les tensions politiques ont accompagné la rentrée des classes.
Les enjeux politiques ont directement déteint sur l’éducation, répondant à deux quêtes du parti au pouvoir : rendre les curriculums plus compatibles avec son agenda islamo-conservateur, et purger le corps enseignant des partisans présumés du prédicateur Fethullah Gülen qu’Ankara accuse d’avoir ourdi le putsch avorté de juillet 2016.
Le gouvernement affirme vouloir former les générations à venir afin de construire une « Nouvelle Turquie » en vue du centenaire de la république, en 2023, et souligne sans cesse la nécessité de « nettoyer » les institutions de tout élément factieux après le putsch manqué.
Mais ses détracteurs l’accusent de vouloir favoriser l’émergence d’une jeunesse pieuse nourrie des idéaux du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis 2002.
Le président Recep Tayyip Erdogan a déclaré à l’occasion de la rentrée des classes vouloir « élever une génération qui soit en paix avec ses valeurs nationales et spirituelles, patriote, qualifiée, libre ».
Cette année, les élèves ont ainsi découvert des manuels scolaires revisités. Parmi les mesures les plus décriées, figure notamment le retrait de la théorie de l’évolution, les autorités invoquant un manque de temps pour l’enseigner « correctement » avant l’université.
Mais il y a aussi l’introduction de l’enseignement du concept de jihad dans les établissements religieux « imam hatip », qui fleurissent depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP et accueillent aujourd’hui plus d’un million d’élèves, contre 23.000 il y a 15 ans.
Le gouvernement affirme qu’il est nécessaire d’enseigner ce concept pour dissocier le « vrai » islam de celui prôné par des groupes comme l’Etat islamique (EI).
Mais « il ne s’agit que de préférences politiques », estime Feray Aytekin Aydogan, présidente du syndicat d’enseignants d’opposition Egitim Sen, qui ne voit d’ailleurs pas en quoi le concept du jihad serait plus simple à enseigner que la théorie de l’évolution.
« L’idéologie religieuse et nationaliste de l’AKP a largement été intégrée aux livres scolaires », considère également le député d’opposition Mithat Sancar (HDP, prokurde), pour qui « ce n’est pas un programme scolaire qui encourage les enfants à s’interroger et à penser librement ».
– ‘Rester en phase avec le monde’ –Â
Interrogé sur les raisons de ces réformes, Burhanettin Uysal, député de l’AKP et vice-président de la commission en charge de l’éducation au Parlement, explique que leur objectif est surtout de moderniser les programmes scolaires.
« Il n’est pas possible de rester en phase avec le monde d’aujourd’hui avec des curriculums datant d’il y a cinq ou dix ans », plaide-t-il.
Il assure toutefois que le gouvernement pourra revenir sur certains changements, s’ils « gênent la société ».
« De plus en plus, c’est le palais présidentiel qui contrôle (l’éducation), pas le ministère de l’Education nationale », estime Batuhan Aydagül, directeur de l’Education Reform Initiative, un think-tank stambouliote sur l’éducation.
Ce chercheur dit n’avoir pas vu de changements aussi rapides dans les programmes scolaires au cours des 15 dernières années.
Mais pour M. Aydagül, le principal problème de l’éducation en Turquie, c’est le manque de « débat inclusif » puisque les différentes franges de la société, dont les islamistes et les laïcs, qui « essaient de défendre leurs positions ». « Si vous commencez votre discussion en parlant de laïcité, vous perdez la moitié de la population ».
– ‘Peur’ –
Autre inquiétude, l’étendue des purges menées depuis le putsch manqué du 15 juillet 2016 : plus de 140.000 personnes ont été limogées par décret-loi, dont plus de 33.000 enseignants, accusés de liens avec le putsch manqué ou divers groupes classés « terroristes ».
« Pour le moment, l’enseignement n’a pas été perturbé par les limogeages », assure pourtant Latif Selvi, à la tête du syndicat d’enseignants pro-gouvernemental Egitim-Bir-Sen, qui reconnaît néanmoins que la Turquie a, limogeages mis à part, besoin de plus d’enseignants.
Le gouvernement a ainsi annoncé que 20.000 enseignants seraient recrutés pour la rentrée 2018.
Mais depuis le putsch manqué, « les enseignants ont peur qu’une enquête soit ouverte contre eux ou de voir leurs noms dans un décret-loi », explique Betül Öztürk, institutrice à Ankara. « Ils font leur travail avec la peur de le perdre à chaque instant ».
« De nombreux élèves ont été laissés sans enseignant, de nombreux enseignants laissés sans travail », déplore-t-elle, affirmant que des gens qui ne sont pas correctement formés se voient parfois confier les postes laissés vacants.
« La plupart des universitaires et enseignants qui pensent différemment du gouvernement ont été limogés », soupire M. Sancar.
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