Après des mois de relatif silence, l’Union européenne (UE) va peut-être enfin commencer à  tirer les conclusions, au moins symboliquement, des dérives autoritaires du président turc, Recep Tayyip Erdogan.
Les élus du Parlement européen ont débattu, mardi 22 novembre, d’une résolution appelant au « gel » des négociations d’adhésion entre l’UE et la Turquie. Le vote devrait avoir lieu jeudi et la résolution, pas totalement finalisée mardi mais soutenue par les principaux groupes politiques de l’hémicycle strasbourgeois, a de bonnes chances d’être adoptée.
Cette prise de position à venir n’a aucune valeur légale : pour que les négociations soient officiellement suspendues, c’est au Conseil européen de statuer. Mais le signal politique est important, à un moment où les relations entre Bruxelles et Ankara se sont fortement dégradées, après le putsch avorté contre M. Erdogan, le 15 juillet.
La mise en sommeil des négociations réclamée par les eurodéputés « risque de jeter de l’huile sur le feu », redoutent quelques sources parlementaires, tandis que d’autres estiment qu’il n’est plus possible de ne pas dénoncer officiellement les purges qui ont suivi le coup d’Etat et qui depuis n’ont pas cessé, s’étendant aux journalistes et aux députés prokurdes, alors que le président turc semble vouloir tourner le dos à l’UE et à ses valeurs démocratiques.
« Envoyer un signal clair »
M. Erdogan a d’ailleurs évoqué, il y a quelques jours, la tenue d’un référendum sur le processus d’adhésion si aucune décision n’était prise par Bruxelles d’ici à « la fin de l’année » sur la suite des négociations. Il a suggéré, pendant le week-end des 19 et 20 novembre, que son pays devrait cesser de s’obstiner et se tourner plutôt vers l’Asie et l’Organisation de coopération de Shanghaï, regroupant la Chine, la Russie et les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale.
Pour Manfred Weber, le président du groupe du Parti populaire européen (PPE, droite) du Parlement européen, présent à Strasbourg, mardi, « chaque semaine, il se passe des choses terribles en Turquie, nous ne pouvons pas continuer les négociations, nous devons envoyer un signal clair, il faut qu’elles soient gelées ».
« Nous ne pouvons pas dire d’un côté que nos valeurs sont d’une importance cruciale et de l’autre simplement continuer de négocier avec Ankara », a souligné pour sa part Guy Verhofstadt, le patron des libéraux à Strasbourg. « L’Europe est maintenant entourée d’autocrates – Poutine, Erdogan – qui veulent détruire nos valeurs. Nous vivons un moment crucial dans l’histoire de l’UE ; elle est en danger. Le Parlement européen doit se faire entendre, ne pas renoncer mais lutter fermement contre ces forces destructrices », a ajouté l’ex-premier ministre belge.
Le processus n’avance pratiquement plus depuis 2013
Plus prudent, le chef de file des sociaux-démocrates, Gianni Pittella, a exprimé son souci que l’Europe « ne ferme pas la porte » à la Turquie, « le gel des négociations doit être provisoire, beaucoup de Turcs continuent de se tourner vers l’Europe, il ne faut pas les trahir ». Â
Sa famille politique est très sensible à cet aspect des relations avec Ankara : longtemps favorable à l’adhésion de la Turquie à l’UE, elle redoute maintenant qu’un gel ne soit perçu dans le pays, par les partis d’opposition, les journalistes ou les députés prokurdes persécutés, comme un abandon pur et simple de l’Europe.
Le gel des négociations officialiserait une situation de fait : le processus d’adhésion, démarré en 2005, n’avance pratiquement plus depuis 2013. Il a certes été relancé en décembre 2015, avec l’ouverture du chapitre 17 sur la politique économique et monétaire du pays, à la suite d’un premier accord entre Ankara et Bruxelles destiné à endiguer l’afflux de migrants transitant par la Turquie vers la Grèce. Mais depuis, rien n’a bougé.
A Bruxelles, Berlin et Paris, plus personne ne croit à une Turquie européenne dans un avenir prévisible. Mais, pour l’instant, les dirigeants refusent de le reconnaître ou de rompre en bonne et due forme les tractations. Certains redoutent que M. Erdogan ne réplique en n’appliquant plus l’accord sur les migrants signé en mars et ne rouvre ainsi les vannes des réfugiés vers la Grèce.
D’autres chefs d’Etat et de gouvernement craignent qu’en arrêtant les négociations d’adhésion, l’UE n’accélère la dérive du pays vers un régime dictatorial. En donnant de la voix à leur place, le Parlement de Strasbourg va-t-il les pousser à sortir du bois ? Pas sûr : selon plusieurs diplomates bruxellois, le Conseil européen, à l ’exception notable de l’Autriche, veut éviter à tout prix d’être rendu responsable de la rupture du processus d’adhésion.
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