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France 24, le 02/05/2018
par Rémi CARLIER
© AFP | Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le leader du MHP, Devlet Bahçeli, ont mis de côté leur animosité respective pour former une coalition politique.
Le président turc a formé une coalition hors du commun avec le parti d’extrême droite nationaliste MHP, avec lequel il espère emporter les élections générales anticipées du 24 juin. En face, l’opposition peine encore à s’organiser.
Tenant d’un islamo-conservatisme compatible avec la démocratie dans une Turquie laïque, Recep Tayip Erdogan n’a cessé, depuis une dizaine d’années, d’accroître son autoritarisme et d’exacerber le nationalisme dans son pays. Au pouvoir depuis 2003, d’abord comme Premier ministre puis comme président, le dirigeant du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) n’est pas près de céder sa place. Pour les élections générales qu’il a anticipées de 18 mois pour le 24 juin prochain, le « reis » met toutes les chances de son côté pour briguer un nouveau mandat qui lui accordera les pleins pouvoirs, conférés par la nouvelle constitution.
Recep Tayip Erogan, en tête des intentions de vote, ne peut pas espérer, seul, obtenir la majorité au premier tour. Il a donc rebattu les cartes politiques en s’alliant avec ses ennemis d’hier, le Parti d’action nationaliste (MHP, extrême droite), quatrième force d’opposition à la Grande Assemblée nationale. « La posture prétendument anti-nationaliste d’Erdogan, qui privilégiait la Oumma [communauté transnationale des musulmans], a volé en éclats. On a constaté graduellement, et c’est très net au cours des trois dernières années, une dérive nationaliste de la part de l’AKP, notamment sur la question kurde. Cela va dans le sens du MHP », explique Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques et spécialiste de la Turquie.
Rapprochement stratégique
Une partie des dirigeants et des électeurs du MHP voient d’un bon œil la lutte entamée par le pouvoir en 2015 contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le sud-est, le débat sur le rétablissement de la peine de mort (abolie en 2004), les discours anti-européens. La convergence idéologique affaiblissant le MHP, son secrétaire général, Devlet Bahçeli, qui jusqu’à récemment méprisait ouvertement le dirigeant turc, a jugé opportun de se rapprocher de lui dans une coalition politique.
Un geste tactique presque indispensable pour ne pas disparaître sous le rouleau compresseur de l’AKP, alors que la loi électorale turque impose aux partis d’obtenir au minimum 10 % des voix aux élections législatives pour pouvoir siéger à l’Assemblée.
« Le MHP est en difficulté ces dernières années, au profit de l’AKP », analyse Didier Billion. Selon lui, la situation est claire depuis les deux élections législatives de 2015. Les premières, tenues en juin, avaient fait gagner 27 sièges au MHP tandis que l’AKP perdait sa majorité absolue au Parlement. Sans parvenir à créer de coalition de gouvernement, Recep Tayyip Erdogan avait dissous le Parlement, et suite à une populaire guerre éclair contre le PKK, avait remporté les législatives. « Entre juin et novembre, Erdogan a activé le nationalisme turc et a récupéré une partie de ses voix au détriment du MHP. Depuis, le MHP n’a pas reconquis ses parts de marché », affirme le chercheur. L’extrême droite, grâce à sa coalition avec l’AKP, est à présent en confiance, et assurée de conserver des sièges à l’Assemblée et des circonscriptions.
Guillaume Perrier, journaliste et auteur de « Dans la tête de Recep Teyyip Erdogan », va plus loin : « Erdogan a surfé sur l’après coup d’État [de juillet 2016, qui s’est soldé par un échec] pour recréer un consensus nationaliste qui a considérablement affaibli les ultra nationalistes du MHP, qui ont été totalement aspirés par [l’AKP] et qui n’existent plus en tant que tels. »
Place en péril
Le président turc, auréolé de ses succès militaires contre les Kurdes dans le nord de la Syrie et de son bilan économique plutôt positif, a toujours le vent en poupe au sein de son électorat, mais doit lui aussi capitaliser sur son alliance de circonstance. Sa victoire sur le fil lors du référendum pour la nouvelle constitution lui a montré qu’il ne faisait pas consensus au sein de la population et que sa place est en péril. Avec le MHP à ses côtés, il ne part pas seul aux élections, et obtient la garantie d’amplifier son score.
Or une victoire au premier tour est très importante pour le leader de l’AKP, car elle permet d’éviter que l’opposition, pour l’instant désorganisée par l’annonce surprise des élections anticipées, ne s’unisse au second tour derrière un candidat unique.
Le principal risque pour le président vient d’ailleurs d’une faction dissidente du MHP et hostile à l’AKP, le Bon Parti (IYI, nationaliste laïque). Sa fondatrice et candidate aux élections, Meral Aksener, ancienne ministre de l’Intérieur, s’est positionnée en adversaire de l’islamo-conservatisme turc. Pour certains observateurs, c’est en partie la crainte d’une montée en puissance de l’IYI, rejoint récemment par 15 députés kémalistes du CHP (le principal parti d’opposition), qui a conduit Recep Tayyip Erdogan à convoquer des élections anticipées.
Mais d’ici fin juin, Meral Aksener dispose de très peu de temps pour regrouper suffisamment d’électeurs dans son sillage. « Le premier congrès du parti a suscité beaucoup de surprises, il y avait beaucoup plus de participation qu’on pouvait l’imaginer », commente Fatma Kizilboga, correspondante de France 24 en Turquie. Cependant, « tout dépendra de son discours, de sa capacité à toucher les gens. On a d’un côté le MHP qui bénéficie de l’attention de tous les médias, et de l’autre une opposition muselée, quasi invisible dans les médias de masse turcs. On ne se rend pas encore forcément compte de l’impact de Aksener, pour savoir si elle réussira à dépasser le barrage des 10 % aux élections ».
Le Parti démocratique des peuples (HDP, gauche pro-kurde), qui avait remporté 13 % des voix aux législatives de juin 2015, est lui marginalisé depuis l’emprisonnement de ses dirigeants et de milliers de ses militants à la suite de la purge ayant suivi la tentative de coup d’État.
Prêt à tout pour obtenir son nouveau mandat, qui accentuera significativement ses prérogatives présidentielles, le chef d’État turc entend remporter le scrutin « à n’importe quel prix », selon Guillaume Perrier. « Il faut sortir de tout raisonnement trop rationnel. On s’est aperçus, avec l’adoption du référendum en 2017, qu’aujourd’hui les scrutins ne peuvent plus être considérés comme réguliers en Turquie. Il y a eu plus de 2 millions de votes truqués, donc si Erdogan venait à être menacé dans cette élection, il aurait une réponse appropriée pour remporter un score plus important. »
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