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Libération, le 06/11/2017Â
Par Quentin Raverdy , Correspondance à Istanbul
Des ouvrières contrôlant la qualité de vêtements, à Ashulia, au Bangladesh en mars 2016. Photo Catrien Ariens. Hoho. Réa
Alors qu’un message signé des ouvriers du géant du prêt-à -porter a été retrouvé dans des vêtements à  Istanbul, la situation des employés turcs, qualifiés, flexibles et bon marché, reste précaire.
Turquie : «Dites à Zara de nous payer»
«J’ai fabriqué l’article que vous vous apprêtez à acheter mais je n’ai pas été payé pour», alerte une étiquette glissée dans plusieurs vêtements de la marque Zara, dans l’une de ses enseignes stambouliotes. Très vite, cette initiative insolite est partagée par les commerçants sur les réseaux sociaux turcs. Ce signal de détresse, déposé le 1er novembre, à l’attention des clients du géant du prêt-à -porter espagnol, est signé des «ouvriers de l’usine de textile Bravo» d’Istanbul. «Nous n’avons reçu ni nos trois derniers mois de salaires, ni nos primes d’ancienneté. L’usine, elle, a été fermée en l’espace d’une nuit», déplorent-ils. Et de lancer un appel : «S’il vous plaît, dites à Zara de nous payer.»
Bravo Tekstil, à l’image de milliers d’entreprises turques, joue les sous-traitants pour les grandes marques occidentales qui trouvent en Turquie une main d’œuvre qualifiée, flexible et bon marché. L’entreprise travaille pour de grands noms : Inditex (Zara, Massimo Dutti, Bershka, etc.), Mango ou encore Next. Pourtant, le 25 juillet 2016, son usine stambouliote baissait ses rideaux et laissait 140 employés sur le carreau. «Un jour, le patron n’était plus là […]. A la place, des sociétés de créanciers sont venues. Le surlendemain, quand nous sommes allés à la fabrique, il n’y avait plus rien, tout avait été saisi», déplore l’une des ouvrières, rencontrée par le quotidien de gauche Birgün. Faute d’un dirigeant à qui réclamer des comptes, les ouvriers, appuyés par le syndicat Disk Tekstil, en appellent directement aux marques européennes. Mais après un an de négociations, c’est la douche froide. «Les marques ont déclaré qu’elles ne payeraient qu’un peu plus d’un quart de ce que nous réclamions. En d’autres termes, les marques ont accepté leur responsabilité mais elles ont pensé que nous ne méritions pas plus que leurs restes», peut-on lire dans la pétition en ligne, lancée fin septembre par les ouvriers, et qui a déjà récolté plus de 20 000 signatures.
Secteur informel
A en croire Asalettin Arslanoglu, président du syndicat des travailleurs Disk Tekstil, Zara est responsable de ces employés laissés à l’abandon. «Comme d’autres grandes marques internationales, Zara a signé un accord contraignant qui garantissait les conditions de travail des employés de ses sous-traitants.» Seulement des promesses, dénonce le syndicaliste. «En Europe, ils brandissent cet accord et clament : « Regardez, nous sommes une entreprise responsable. » Mais ici, à Istanbul, c’est bien différent. Ici, les petits patrons sont submergés par les commandes de ces grands groupes qui veulent toujours plus de produits de qualité, à bas coût. Cela se répercute donc logiquement sur les employés et leurs conditions de travail.» Et le syndicaliste de déplorer ainsi cadences, horaires, faibles salaires, règles de sécurité d’un secteur qui emploie pas moins de 2 millions de personnes en Turquie. La moitié d’entre elles œuvrerait d’ailleurs dans le secteur informel, souvent dans de petits ateliers de confection hors d’atteinte des contrôles.
Un secteur informel notamment alimenté depuis 2011 par l’arrivée de plus de 3 millions de réfugiés syriens sur le sol turc. Les dérives ont été multiples. En 2016, une enquête de la BBC avait ainsi révélé que des sous-traitants de grandes marques occidentales embauchaient dans leur ateliers textiles des Syriens (dont des mineurs) sans permis de travail et pour des salaires bien inférieurs aux normes légales.
«A la traîne»
Depuis, des efforts ont été constatés mais restent insuffisants, comme l’explique, Phil Bloomer, directeur du Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme, dans son rapport annuel. «Certaines marques grand public comme Next, New Look, Asos et Zara ont fait des progrès pour protéger les travailleurs, mais beaucoup d’autres comme Aldi, Asda et Topshop sont à la traîne. Elles devraient s’inspirer des leaders du secteur, et vite.» Mais imposer des normes et des contrôles s’avère difficile dans un pays où le textile est roi : 2,5 % du PIB et près de 20 % des exportations totales. D’autant qu’Ankara affiche de larges ambitions pour ce secteur, tablant à l’horizon 2023 – centenaire de la République turque – sur 80 milliards de dollars d’exportations (contre 29 milliards en 2014)
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