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TV5 Monde, le 02/07/2019
Par Raziye AKKOC
Le journaliste Yavuz Selim Demirag du quotidien Yeniçag, lors d’une interview avec l’AFP, le 29 mai 2019 à Ankara, en Turquie / afp.com – Adem ALTAN
Après 28 agressions à coups de poing, de pied ou de batte de baseball subies au cours de sa carrière, le journaliste turc Hakan Denizli croyait avoir vu le pire. Puis il y a eu la 29e.
Un jour de mai, des assaillants armés d’un pistolet lui ont tiré dessus alors qu’il emmenait son petit-fils de 4 ans à la crèche.
« Je suis monté dans la voiture, la fenêtre était baissée. Ils sont venus, m’ont tiré dans la jambe et sont repartis », raconte froidement le journaliste, fondateur du quotidien Egemen à Adana, dans le sud de la Turquie.
Loin d’être un cas isolé, l’agression de M. Denizli s’inscrit dans une recrudescence des violences physiques contre les journalistes en Turquie, avec six attaques en autant de semaines au printemps dernier.
Beaucoup mettent en cause la classe politique, qui s’en prend régulièrement et nommément aux journalistes.
« Reste à ta place, si tu ne connais pas ta place, ce peuple te l’apprendra », s’est ainsi emporté le président Recep Tayyip Erdogan après qu’un présentateur de la chaîne Fox Haber eut demandé si les gens iraient manifester contre l’augmentation du coût de la vie, en décembre.
Cette situation ne fait qu’alourdir le climat pesant dans lequel baignent les médias en Turquie, pays situé à la 157e place au classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF).
D’après RSF, les violences contre les médias ne sont le plus souvent ni punies, ni condamnées. Une demande d’enquête parlementaire portant sur les attaques de ces dernières semaines a ainsi été rejetée par le parti au pouvoir et son allié nationaliste MHP.
– « Médailles d’honneur » –
Un franc détracteur du gouvernement, Yavuz Selim Demirag, du quotidien Yeniçag, a été battu le 10 mai devant chez lui par un groupe armé de battes de baseball qui l’a laissé avec une partie de la cage thoracique fracturée.
« Quand j’éternue, tousse, me lève, cela fait mal », raconte-t-il.
Le journaliste de 61 ans met en cause une annonce publiée en pleine page par le MHP dans plusieurs journaux l’an dernier.
Le texte listait nombre de journalistes sous le titre « Calomnies, allégations, plaintes ». Deux des journalistes nommés, dont M. Demirag, ont été attaqués.
Le parquet dit enquêter, mais six suspects ont été libérés peu après leur arrestation.
« Etre un journaliste en Turquie est difficile, attaquer des journalistes est héroïque », déplore M. Demirag.
Outre ces violences, les journalistes d’opposition sont soumis à une pression permanente des autorités judiciaires.
Un mois à peine après avoir été attaqué, M. Demirag a été brièvement emprisonné en raison d’une condamnation pour insulte au président remontant à l’année dernière. Il est actuellement en liberté conditionnelle.
M. Denizli, lui, dit avoir « peut-être 24 ou 25 » affaires judiciaires sur le dos.
« Je ne suis pas intimidé par ces affaires. Et les sept balles que j’ai reçues sont mes médailles d’honneur, parce que je fais ce qui est juste », affirme-t-il.
– « Anes » –
Des journalistes de tous bords sont potentiellement en danger, mais les réactions traduisent souvent le sectarisme féroce de la politique turque.
Ainsi, le gouvernement est resté silencieux quant à l’agression de M. Demirag, mais la présidence a immédiatement dénoncé l’attaque contre un journaliste islamiste, Murat Alan, battu à Istanbul le 14 juin après avoir qualifié les généraux turcs d' »ânes ».
Idris Ozyol, journaliste basé à Antalya (sud), a lui reçu un appel du ministre des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu. D’après lui, le ministre a mis en cause le MHP, partenaire du parti au pouvoir.
« Un bras du gouvernement attaque, l’autre envoie des messages disant +nous sommes si tristes+ », s’agace-t-il.
Le représentant en Turquie de RSF, Erol Onderoglu, dénonce une situation « profondément hypocrite », notamment après les critiques virulentes à l’égard de l’Arabie saoudite après la mort du journaliste Jamal Khashoggi, assassiné dans le consulat de son pays à Istanbul.
« Nous avons besoin d’une figure politique de premier plan qui intervienne contre ce climat hostile », affirme M. Onderoglu, lui-même poursuivi pour « propagande terroriste ».
M. Denizli pense que ce sont ses articles sur la corruption qui lui ont valu d’être visé.
Mais il reste déterminé: « J’essaie juste de faire mon travail du mieux que je peux ».
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