«J’ai un petit conflit d’intérêts parce que j’ai un bâtiment de très, très grosse importance à Istanbul.» L’aveu sort directement de la bouche de Donald Trump, interviewé en décembre 2015 par le site de l’ultra-droite américaine Breibart News. Le bâtiment en question ? Les Trump Towers, deux tours de 37 et 39 étages érigées en 2012 en plein cœur du très dynamique quartier de Sisli sur la rive européenne de la métropole turque. «Une affaire qui marche extrêmement bien», rajoutait même, sans rougir, le businessman qui toucherait, pour l’utilisation de son nom, plusieurs millions de dollars par an de la puissante holding turque Dogan, gestionnaire du complexe et avec lequel le clan Trump entretient de solides amitiés.

 

Meubles.

Trump n’a jamais fait mystère de son intérêt pour la Turquie et son essor économique. Dès 2008, le milliardaire, faisant confiance à son ami Ahmet Ertegün, philanthrope turc et producteur de musique renommé, a annoncé «d’importants investissements» à venir. L’homme d’affaires ne se contentera pas d’implanter la Trump Organization à Istanbul, «une ville qui a une place dans [s]on cœur», et lancera, en 2013, un partenariat avec le fabricant de meubles de luxe Dorya, installé près d’Izmir.

 

Mais l’histoire d’amour entre Trump et la Turquie a bien failli virer au drame lorsque, il y a un an environ, il a annoncé vouloir interdire l’entrée du territoire américain aux musulmans s’il était élu. En Turquie, où l’islam est ultra-majoritaire, la sortie du candidat républicain ne passe pas. «Nous sommes en train de réexaminer la dimension légale de notre relation avec la marque Trump», menaçait ainsi Bülent Kural, manager des Trump Towers. Le pouvoir s’en est mêlé. Recep Tayyip Erdogan, qui avait inauguré les lieux trois ans plus tôt, a fustigé Trump, «un politicien qui n’a pas de succès», et appelé à ce qu’on rebaptise les tours.

 

Etat islamique.

L’escalade sera pourtant de courte durée. Le soutien sans équivoque de Donald Trump au président Erdogan au lendemain du coup d’Etat manqué du 15 juillet et son silence face aux vastes purges dans les institutions qui ont suivi ont fini de rabibocher les deux hommes. Michael Flynn, le conseiller en chef du candidat républicain, qui «applaudissait» les putschistes, changera lui aussi son fusil d’épaule pour célébrer l’alliance avec la Turquie d’Erdogan, un allié incontournable du Pentagone dans la lutte contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie. Le nom des Trump Towers n’indigne plus. Les propos du businessman, entre-temps élu, ne choquent plus. «L’erreur est corrigée», pour Erdogan, l’un des premiers chefs d’Etat à décrocher son téléphone pour féliciter Trump et l’inviter à choisir la Turquie pour son premier voyage présidentiel.

Ce calme retrouvé dans les affaires comme dans la politique pourrait cependant ne pas durer, avertit Mustafa Sönmez, journaliste économique turc : «Quand Trump entrera en fonction, quand il sortira de sa posture électorale, il retrouvera une vision plus réaliste, plus pragmatique.» Et là, les masques tomberont, prévoit le journaliste. «On se rendra enfin compte que les positions de Trump et Erdogan sur la montée de l’autoritarisme en Turquie ou sur les enjeux régionaux, notamment en Syrie, ne sont peut-être pas si proches. Et c’est là que les conflits vont apparaître.»

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