En représailles à la détention, en Turquie, du pasteur évangélique américain Andrew Brunson, les Etats-Unis ont décidé, mardi 1er août, d’imposer des sanctions aux ministres turcs de l’intérieur et de la justice, Süleyman Soylu et Abdulhamit Gül. Tous deux sont décrits par le département du Trésor des Etats-Unis comme ayant joué « un rôle majeur »dans l’incarcération du pasteur.
Les deux ministres turcs sont désormais interdits d’entrée aux Etats-Unis, leurs avoirs sur le sol américain ont été gelés, aucun citoyen américain ne peut plus commercer avec eux. Ces sanctions sont une première salve. D’autres pourraient suivre. D’ores et déjà , la monnaie turque a décroché, atteignant le seuil symbolique de 5 livres pour 1 dollar.
Ulcérée par l’attitude agressive et clivante du gouvernement turc, l’administration américaine a, selon l’agence Bloomberg, élaboré à l’endroit d’Ankara, son partenaire stratégique dans la région, son alliée au sein de l’OTAN, une « liste Magnitski », semblable à celle qui vise actuellement le gouvernement russe et les oligarques proches du Kremlin.
Voici des mois que l’affaire Brunson empoisonne la relation entre les deux partenaires. Jugé depuis le printemps par un tribunal d’Izmir, le pasteur Brunson risque trente-cinq années de prison pour « terrorisme » et « espionnage » au profit de deux organisations, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le réseau du prédicateur Fethullah Gülen, désigné par Ankara comme le cerveau du coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016.
« Nouvel Antéchrist »
Arrêté en décembre 2016, M. Brunson, 50 ans, a été détenu pendant dix-neuf mois à la prison de haute sécurité d’Izmir – dont douze mois sans mise en examen – avant d’être placé, la semaine dernière, en résidence surveillée. L’acte d’accusation du pasteur Brunson est surprenant. Fondé sur les auditions de témoins anonymes évoqués par leurs seuls surnoms (« Feu », « Le Prieur », « Météor »), il mentionne aussi bien le fait que de fervents chrétiens de l’entourage du pasteur perçoivent M. Erdogan comme le « nouvel Antéchrist » et retient à charge le recel, sur le téléphone portable du pasteur, de la recette du maklube, un mets qui serait le plat préféré des gülenistes.
Depuis 2016, les autorités turques réclament à la justice américaine l’extradition de l’imam Gülen, un ancien allié de M. Erdogan, qui, depuis 1999, dirige son mouvement religieux depuis sa résidence cossue de Pennsylvanie. La justice américaine estime que le dossier d’accusation présenté par Ankara en vue de l’extradition n’est pas convaincant.
Côté turc, l’angle transactionnel est privilégié. « Vous nous donnez le prédicateur, on vous rend le pasteur », a coutume de dire M. Erdogan. Justement, les tractations allaient bon train entre le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, et son homologue turc, Mevlüt Çavusoglu. Selon Bloomberg, un arrangement avait presque été trouvé. Les Etats-Unis s’engageaient à réduire l’amende encourue par Halkbank, la banque publique turque accusée d’avoir contourné les sanctions américaines envers l’Iran, et à renvoyer en Turquie le responsable de Halkbank Mehmet, Hakan Atilla, condamné le 16 mai à trente-deux mois de prison par un tribunal de Manhattan pour le même chef d’accusation.
En retour, la libération d’Andrew Brunson devait suivre. Mais le scénario de l’arrangement s’est effondré mercredi 25 juillet lorsqu’un tribunal d’Izmir a placé le pasteur en résidence surveillée. Ulcéré par le refus de la justice turque de libérer « un formidable chrétien et père de famille », le président américain, Donald Trump, a jugé que les sanctions contre les ministres turcs étaient « la mesure appropriée », a souligné mardi le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo. Andew Brunson « doit être ramené à la maison », a indiqué mardi la porte-parole de la diplomatie américaine, Heather Nauert.
Ankara prépare sa revanche. Le ministère turc des affaires étrangères a promis mardi « une riposte sans délai ». Pas question pour la Turquie de « céder aux menaces », a assuré de son côté le président Recep Tayyip Erdogan, fustigeant au passage « la mentalité évangéliste et sioniste » des Etats-Unis.
Outre l’affaire Brunson, la politique étrangère du président Erdogan, prompt à embrasser Vladimir Poutine et désireux d’acquérir les systèmes russes de défense antiaérienne S-400, est une source d’irritation à Washington. Mercredi, le Congrès a adopté la loi sur le budget de la défense, qui interdit au Pentagone de livrer à la Turquie les avions de combat F-35 qu’elle a commandés, une centaine au total.
Cette interdiction vaut tant qu’Ankara n’aura pas renoncé à l’achat des S-400. L’avion furtif F-35 étant censé pouvoir échapper aux radars russes, les spécialistes américains de l’armement craignent que leurs secrets de fabrication ne se retrouvent très vite à Moscou. Fin juin, les premiers F-35 ont été remis à la Turquie sans pour autant quitter le sol américain, les pilotes turcs étant actuellement formés à leur pilotage depuis une base américaine.