Le référendum du 16 avril, visant à instaurer un régime présidentiel en Turquie s’est soldé par une courte victoire du camp du oui, celui du président Recep Tayyip Erdogan (parti AKP). Mais trois jours après le scrutin, les comptes ne paraissent pas encore soldés : bataille d’interprétation entre partisans du oui et du non, et bataille juridique pour l’opposition du CHP (gauche nationaliste) et du HDP (pro-Kurdes), qui contestent les résultats obtenus, entachés de soupçons de fraude. Le 18 avril, le vice-président du CHP a déposé un recours pour demander l’annulation du référendum. Il sera examiné ce mercredi 19 avril.

Si les médias progouvernement se félicitent d’un score jugé honnête dans une Turquie livrée au terrorisme et supposée seule contre tous, les tenants du non rappellent les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles ils ont dû faire campagne et considèrent pour leur part que le score réalisé par l’AKP est en demi-teinte, sinon une victoire à la Pyrrhus.

 

“Ne tournons pas autour du pot, se réjouit l’éditorialiste du quotidien pro-AKP Sabah :

En renouvelant le score obtenu à la présidentielle de 2014, Tayyip Erdogan a obtenu un vote de confiance du peuple. C’est la victoire d’un homme du peuple, lequel peuple a retoqué à dix reprises ses adversaires, qui n’ont cessé de se coaliser contre lui depuis 2002.”

Une drôle de campagne

Le scrutin, marqué comme souvent en Turquie par une très forte participation, n’a pourtant pas débouché sur le triomphe espéré par le parti au pouvoir. D’abord annoncé à plus de 60 % après dépouillement partiel, le oui n’a cessé de baisser à mesure que les votes des grandes villes de Turquie étaient pris en compte. Les résultats officiels annoncés par le Haut-Conseil aux élections (YSK) font finalement état de 51,4 % des votes en faveur du oui et de 48,6 % en faveur du non.

Pendant la campagne, les tenants du oui ont rebattu l’idée que la Turquie avait besoin d’un pouvoir fort pour faire face aux menaces qui l’assaillent. Le 18 avril, le quotidien Yeni Safak, pro-AKP, reprend ce même argument. Pour lui, la victoire du oui “est la meilleure des réponses à la campagne engagée à l’intérieur et l’extérieur du pays, qui a fini par dégénérer en attaque systématique contre la Turquie”.

 

Un constat toutefois minoritaire. La majeure partie des commentateurs indépendants relèvent avec intérêt que les grandes villes du pays, généralement favorables à l’AKP, ont cette fois-ci majoritairement voté en faveur du non.

 

“L’AKP, qui a fait campagne sans permettre aux médias passés sous son contrôle de parler de quiconque sauf de lui-même et n’a cessé de criminaliser ses adversaires, qualifiés tour à tour de traîtres et de terroristes, a perdu Istanbul. C’est très révélateur”, souligne ainsi le journal en ligne de gauche Gazete Duvar, qui poursuit :

De la même façon, en dépit de l’inégalité des rapports de force, des villes comme Diyarbakir, Antalya, Muğla ou Denizli, où se jouent les relations de la Turquie avec le reste du monde, ont refusé le système présidentiel incarné par Erdogan.”

Le président ne mâche pas ses mots

“Ce scrutin ne satisfait personne”, résume pour sa part un éditorialiste du journal d’extrême droite Yeniçağ, qui pointe du doigt les nombreuses irrégularités ayant entaché le déroulement de l’élection et l’annonce des résultats. “Au moment même où l’agence officielle Anatolie annonçait que la quasi-totalité des urnes étaient dépouillées, la chaîne Fox Haber reprenait le démenti du Haut-Conseil aux élections selon lequel seulement 70% des résultats étaient connus, rappelle-t-il. Un peu plus tard, le CHP a annoncé pour sa part qu’il contestait les résultats obtenus sur 2,5 millions de votes.” Soit largement plus que l’écart entre le oui et le non…

 

Le courant nationaliste incarné par le CHP est de fait apparu extrêmement divisé lors de la campagne. Son chef, Devlet Bahceli, a fait alliance avec Erdogan en faveur du régime présidentiel, au grand déplaisir d’une partie de sa base, farouchement hostile à l’hégémonie de l’AKP et du président Erdogan.

“Les tenants du non ne se sont pas contentés de faire face,considère quant à lui Murat Yetkin pour le journal centriste Hürriyet. Ils ont affiché leur préférence pour une Turquie moderne, libérale et tournée vers l’Occident.” Or Erdogan, lors de son discours de dimanche soir devant sa villa présidentielle au bord du Bosphore à Tarabya, n’a une fois de plus pas mâché ses mots, relève Murat Yetkin :

Alors qu’en privé il a pris soin de parler de façon irénique et consensuelle aux journalistes présents sur place, à peine a-t-il aperçu la foule venue l’acclamer qu’il a mentionné une nouvelle fois son intention de réinstaurer la peine de mort.”

 

Une nouvelle échéance est donc à prévoir et c’est encore une fois l’incertitude qui prévaut.

“Nul besoin d’épiloguer, conclut Hürriyet. Il suffit de voir les mines des membres de l’AKP hier soir à la télévision. Ce n’étaient pas des gens qui avaient gagné mais des gens qui s’interrogeaient pour savoir comment se débrouiller avec le résultat obtenu.”