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Le Monde, le 29/09/2021
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante) et Faustine Vincent (Envoyée spéciale à Erevan)
Un an après le conflit de l’automne 2020 dans le Haut-Karabakh, Erevan et Ankara ont repris le dialogue, notamment sur les questions de transport dans le Caucase, laissant entrevoir une possible normalisation de leurs relations.
Un an après la guerre dans le Haut-Karabakh, l’Arménie et la Turquie, qui a permis à l’Azerbaïdjan de remporter la victoire, seraient-elles tentées par une réconciliation ? Ces dernières semaines, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, ont laissé entrevoir la perspective d’une normalisation des relations. Celle-ci sera « progressive », a déclaré le chef de l’Etat turc le 29 août, et se concrétisera « si le gouvernement arménien est prêt à des avancées ». M. Pachinian a salué « des signaux positifs » auxquels il s’est dit prêt à répondre positivement si Ankara ne pose pas de « conditions préalables ».
Début septembre, le chef du gouvernement arménien aurait proposé une rencontre au président turc par l’intermédiaire du premier ministre géorgien, Irakli Gharibachvili, selon la presse arménienne. Le secrétaire du Conseil de sécurité arménien, Armen Grigoryan, n’a pas démenti. « Nous pensons qu’un dialogue à un niveau élevé et au plus haut niveau est l’un des moyens de normaliser ces relations », a-t-il déclaré, vendredi 24 septembre.
Signe précoce de ce réchauffement, Turkish Airlines a été autorisée, dès janvier 2021, à survoler le territoire arménien lors de ses vols commerciaux vers Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan. Un petit pas comparé au lourd passif existant entre les deux voisins. Brouillées de longue date, notamment en raison de la non-reconnaissance par Ankara du génocide des Arméniens par l’Empire ottoman en 1915, la Turquie et l’Arménie n’ont pas de contacts diplomatiques, et la frontière qui les sépare est fermée depuis 1992.
L’ouverture d’un corridor
Le soutien de la Turquie à l’Azerbaïdjan turcophone, dans le conflit qui l’a opposé à l’Arménie, à l’automne 2020, pour le contrôle de l’enclave disputée du Haut-Karabakh, a remis du sel sur les plaies. Ankara, qui entraîne les militaires azerbaïdjanais et les fournit en équipements depuis plus de dix ans, a impliqué son armée, non pas sur le terrain, mais dans la planification des opérations. Des officiers turcs étaient à la manœuvre, supervisant entre autres l’utilisation des drones armés Bayraktar TB2, le fleuron de l’industrie militaire nationale, en plein essor. L’aide militaire turque a été décisive, permettant à Bakou de reprendre le contrôle d’une partie de l’enclave et des sept zones tampons tout autour.
La victoire écrasante de l’Azerbaïdjan n’a pourtant pas apporté les gains géopolitiques espérés par la Turquie, non conviée aux négociations ayant abouti au cessez-le-feu du 9 novembre 2020 sous l’égide du président russe, Vladimir Poutine. En revanche, l’accord signé à Moscou prévoit l’ouverture d’un corridor routier reliant la Turquie à l’Azerbaïdjan, vers la Caspienne, via l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan.
Prévu pour être sécurisé par des soldats russes, ce corridor permettrait à l’Arménie de se désenclaver, et à la Turquie d’avoir une continuité terrestre avec son allié turcophone et, plus loin, jusqu’à l’Asie centrale. Bâtir un axe routier, une voie ferrée et des aires de service dans cette région délitée sera l’affaire des entreprises turques du bâtiment, c’est ainsi que M. Erdogan le conçoit. Mais, pour cela, il faut renouer avec l’Arménie, d’où le réchauffement programmé.
Autre nouveauté, l’Azerbaïdjan ne s’opposerait plus à ce que l’allié turc ouvre sa frontière avec l’Arménie. Désertée depuis des lustres, cette bande de 180 kilomètres de long n’a jamais vu aucun passage. Fermée à double tour à l’époque de la guerre froide, elle a failli s’ouvrir au moment de la chute de l’URSS en 1991 après qu’Ankara a reconnu l’indépendance de l’Arménie. Mais la première guerre au Haut-Karabakh (1988-1994) a mis fin aux espoirs. Si Bakou donne son feu vert aujourd’hui, l’ouverture de la frontière apporterait une bouffée d’air à tout le sud du Caucase, et offrirait des débouchés aux entreprises aussi bien turques qu’arméniennes.
Camp des ennemis
A Erevan, ce début de rapprochement entre Ankara et Erevan soulève l’indignation de l’opposition et d’une grande partie de la population, qui l’estiment contraire aux intérêts de l’Arménie, exsangue depuis sa défaite. « La Turquie essaye de profiter de notre faiblesse et de l’incompétence du gouvernement pour imposer des conditions préalables, comme la non-reconnaissance du génocide arménien », déclare, agacé, Hovannès Ghazarian, un partisan de l’opposition qui participait, le 21 septembre, à une marche en l’honneur des soldats morts pendant la guerre.
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Ce n’est pas la première fois qu’une telle normalisation des relations est envisagée. En 2009, les deux pays avaient déjà échangé des signaux positifs. Un accord avait été signé et devait aboutir à l’ouverture de leur frontière commune. Il est toutefois resté dans les limbes après des pressions de l’Azerbaïdjan sur la Turquie. Cette fois, Bakou reste silencieux. La guerre des quarante-quatre jours de l’automne 2020 a rebattu les cartes : depuis que l’Azerbaïdjan a reconquis une grande partie des territoires, il ne semble plus s’opposer à un tel rapprochement.
De son côté, la Russie a donné des signes exprimant son souhait d’accompagner ce processus, jugé « logique » maintenant que le conflit est terminé. A Erevan, des responsables politiques estiment qu’une implication de Moscou pourrait faciliter le rapprochement et vaincre les réticences de l’opposition, largement prorusse. Mais le chemin reste long. Lors du premier anniversaire du déclenchement de la guerre, lundi 27 septembre, le ministre arménien des affaires étrangères, Ararat Mirzoyan, a dénoncé les dégâts causés par ce qu’il qualifie d’« agression azerbaïdjano-turque », replaçant résolument la Turquie dans le camp de ses ennemis.
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