Le 24 juillet 1908, l’abolition de la censure, premier acte de la mise en place de la monarchie parlementaire sous l’Empire ottoman avait été célébrée à l’époque par les journalistes turcs. Ce lundi 24 juillet 2017, s’est ouvert à Istanbul le procès de dix-sept journalistes et collaborateurs du quotidien Cumhuriyet, l’un des derniers organes de presse indépendants du pays. Une foule immense s’est rassemblée devant le tribunal d’Istanbul pour accueillir les accusés par des applaudissements, des ballons multicolores et des pancartes. «Le journalisme n’est pas un crime» ou «la presse libre ne peut être réduite au silence», pouvait-on lire notamment.

«Je n’ai malheureusement pas pu entrer dans la salle d’audience qui ne peut accueillir que 150 personnes», nous indique l’écrivain francophone Yigit Bener, traducteur et interprète turc. Les couloirs menant à la salle d’audience étaient également bondés. A l’extérieur, un lâcher de ballons symbolisait «un acte d’accusation aussi volatile et plein d’air que ces baudruches», selon Bener. Les collaborateurs de Cumhuriyet sont accusés d’avoir aidé une ou plusieurs «organisations terroristes», principalement les séparatistes kurdes du PKK et le mouvement du prédicateur exilé aux Etats-Unis, Fethullah Gülen. Celui-ci est désigné par le pouvoir d’Erdogan comme étant le cerveau de la tentative de putsch du 15 juillet de l’année dernière. Des accusations catégoriquement démenties par les journalistes. L’acte d’accusation de 324 pages présente Cumhuriyet comme un journal qui mène une opération visant à faire de la Turquie et d’Erdogan des «cibles» en ayant recours à des procédés de «guerre asymétrique».

 

«Cumhuriyet n’a pas peur»

Plusieurs journalistes du quotidien, créé en 1924, ont rejeté lundi les accusations «imaginaires et calomnieuses» d’activités «terroristes» pesant contre eux. «Cumhuriyet n’a pas peur, ne se rendra pas, n’abandonnera pas», a déclaré au tribunal le patron du journal Akin Atalay, qui fait partie des accusés. «L’indépendance et la liberté sont l’ADN de ce journal», a-t-il ajouté. Parmi les accusés, onze sont en détention préventive, la plupart depuis près de neuf mois. Depuis l’arrestation de ses piliers, le journal laisse systématiquement un encart vierge là où auraient dû paraître les textes de ses chroniqueurs écroués, comme l’éminent chroniqueur francophone Kadri Gürsel. Au début de l’audience, celui-ci a tourné en dérision les accusations de liens avec la mouvance güléniste au motif qu’il a reçu des SMS ou des appels de partisans du prédicateur. «Si les responsables de l’accusation n’arrivent pas à voir que les SMS sont restés sans réponse et les appels reçus une seule fois, alors ils utilisent leur autorité à mauvais escient», a-t-il dit.

Le procès ouvert à Istanbul devrait durer une dizaine de jours. Les accusés risquent jusqu’à 43 ans de prison pour les «crimes» qui leur sont reprochés. «Ce procès est une épreuve pour la Turquie», a estimé l’éditorialiste Aydin Engin, un des accusés comparaissant libres. «Recep Tayyip Erdogan dit que la justice est neutre en Turquie, nous allons voir», a-t-il ajouté.

.