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La Tribune, le 22/03/2016
Par Sarah Belhadi
L’accord du 18 mars pourrait se révéler totalement improductif. (Crédits : Reuters)
L’accord conclu le 18 mars entre l’Union européenne et la Turquie laisse à penser que le flux de migrants et réfugiés est désormais maîtrisé. Pourtant, le dispositif, complexe à mettre en Å“uvre et potentiellement non conforme au droit européen, pourrait ne rien régler au problème.
A l’issue de deux jours de discussions, les 28 pays membres de l’Union européenne se sont entendus sur un accord -esquissé dix jours plus tôt- dans le but d’envoyer un message politique fort visant à diminuer le nombre d’arrivées de migrants.
En quoi consiste cet accord ?
Le compromis trouvé entre Bruxelles et Ankara dans l’urgence vise à appliquer le principe du « un pour un ». A partir du 4 avril, la Turquie devra réadmettre sur son territoire tout migrant arrivé en Grèce en situation irrégulière ainsi que les candidats à l’exil dont les demandes ont été rejetées. En échange, l’Union européenne s’engage à accueillir un réfugié syrien, en provenance de Turquie, et à le réinstaller dans un des 28 pays membres. La Grèce, déjà endiguée dans une crise économique devra examiner toutes les demandes d’asile, et la Turquie, qui compte déjà plus de 3 millions de réfugiés sur son sol, accueillera ces migrants refoulés ou ceux qui n’avaient pas fait de demande d’asile. La Commission a affecté une enveloppe de 280 millions d’euros pour les six premiers mois de mise en Å“uvre du plan.
Une mise en pratique immédiate est-elle réaliste ?
Si sur le papier l’accord semble être scellé, sa mise en pratique risque néanmoins d’être plus compliquée. Pour l’instant, aucun dispositif n’a été mis en place en Grèce pour traiter les demandes et renvoyer les migrants en Turquie, alors même que l’accord est censé être effectif depuis le 20 mars au soir. Mais il est peu probable que , qui n’a déjà pas les ressources suffisantes pour contrôler ses frontières, puisse faire face dans les prochains jours aux nouvelles directives de l’accord. De plus, même si la Commission européenne a avancé que 4.000 agents doivent être mobilisés pour cette vaste opération, la machinerie risque d’être longue à mettre en place. « Cela va dépendre du bon vouloir des états membres à trouver ce personnel », prévient Yves Pascouau, directeur du think thank bruxellois, l’European Policy Centre, et chercheur associé à l’institut Jacques Delors. Devant ce défi logistique, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a lui même reconnu que la « tâche » était « herculéenne ».
L’accord est-il conforme au droit européen ?
De plus, on peut s’attendre à ce que l’accord se heurte à un obstacle juridique, mettant en évidence l’incompatibilité entre le mécanisme validé par les 28 et le droit européen. Si a priori, la Grèce reconnaît la Turquie comme un pays tiers sûr (ou premier pays d’asile), il faut rappeler que la Turquie n’applique que partiellement la convention de Genève de 1951 relative au sort des réfugiés, c’est à dire seulement aux ressortissants européens, et usent donc du principe de limitation géographique. Elle n’est donc pas considérée, selon les critères de l’UE, comme un pays tiers sûr. Or, l’UE est censée renvoyer les personnes refoulées uniquement dans des pays tiers sûrs. »On pourrait presque imaginer qu’un juge de première instance invalide l’accord décidé par les chefs d’Etat et de gouvernement », avance Yves Pascouau. La Cour de Justice européenne de Luxembourg pourrait être saisie pour trancher sur la conformité de l’accord à la législation communautaire. « Il y a un jeu qui va se faire. Et de toute manière, c’est le juge qui va déterminer la légalité de ce plan ou pas », résume le chercheur.
L’accord est-il éthique ?
Enfin, le plan fait face – et non des moindres – à un obstacle moral. Juridiquement, aucun texte n’interdit aux pays de sélectionner ses réfugiés. Mais le fait d’exposer clairement le choix de relocaliser uniquement des Syriens en UE pose un problème éthique. En effet, l’accord ne parle ni du cas des Afghans, Érythréens ou des autres nationalités. Et, si l’accord vise à diminuer le nombre de migrants enregistrés dans les pays de l’UE, il doit aussi -officiellement- mettre un terme au drame humanitaire qui se joue en méditerranée. Selon les estimations de l’Organisation internationale pour les migrations, 3.700 personnes ont perdu la vie en 2015, et déjà 413 en 2016.
Toutefois, il est peu probable que ce plan dissuade les migrants de partir. Bien que les routes des Balkans et de la mer Égée soient désormais closes, l’hémorragie provoquée par cette crise migratoire va se poursuivre… en se délocalisant. « D’autres routes vont s’ouvrir, et certainement se rouvrir. On risque de se retrouver un an plus tard au même endroit qu’en avril 2015″, avertit Yves Pascouau, au moment ou la Libye était le point de départ vers l’Italie pour les migrants. Autant dire que le projet des 28 de mettre un terme aux réseaux de passeurs risque également d’échouer. Bref, cet accord vise à déplacer et refouler le problème.
L’accord règle t-il (vraiment) le problème ?
Le mécanisme décidé à Bruxelles prévoit que l’Union européenne se répartisse au maximum 72.000 personnes en provenance de Turquie. Mais dans ce chiffre avancé, il faut soustraire les 18.000 déjà annoncés en juillet dans le cadre du processus de réinstallation et de relocalisation des réfugiés. Sur les 54.000 restants, l’accueil est fondé sur la base du volontariat. »Je ne suis pas du tout certain que beaucoup de membres se pressent au portillon », note toutefois Yves Pascouau. « Il y a un ensemble d’états membres qui vont demeurer contre », avertit le chercheur. L’Union européenne peine déjà à appliquer le plan Juncker qui prévoit de repartir 160.000 réfugiés dans 28 pays. Bref, il est à craindre que le satisfecit général affiché à Bruxelles vendredi dernier ne dure pas. D’autant plus que la Commission veut que le nombre de relocalisations de réfugiés atteigne 6000 personnes par mois.
Le consensus des 28 résistera t-il au temps ?
Fin avril, les 28 doivent se réunir pour discuter de la modification de l’accord de Dublin qui organise les demandes d’asile en Europe. Pour rappel, il prévoit que les demandes soient examinées par le premier pays européen dans lequel la personne est arrivée. Ce système qui pour conséquence de faire reposer la responsabilité sur les pays limitrophes, à l’instar de la Grèce actuellement. Ainsi, la Commission européenne a déjà examiné de nouveaux critères permettant de mieux équilibrer les demandes dans l’espace communautaire, en tenant compte d’un certain nombre de critères. « Les tensions entre Etats membres sur la question de la distribution des demandeurs d’asile demeurent vives, et rien n’indique qu’ils parviennent à les dépasser », prévient Yves Pascouau. Ce qui risque -encore une fois- de paralyser les discussions.
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