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L’Express, le 24/08/2016
Par Catherine Gouëset
La Turquie a lancé ce mercredi une opération sans précédent en Syrie pour reprendre la ville de Djarabulus au groupe Etat islamique. Quels sont les vrais enjeux de cette offensive?
Que signifie l’entrée d’Ankara sur le champ de bataille syrien ? L’armée turque a envoyé ses F-16 et ses chars sur le territoire voisin en appui aux rebelles syriens, ce mercredi. Avec l’opération « Bouclier de l’Euphrate » Ankara entend reprendre aux forces du groupe Etat islamique (EI) la ville de Djarabulus. Mais surtout, stopper l’avancée des forces kurdes du PYD qui ne cessent d’élargir les zones sous leur contrôle le long de la frontière turque.
Cette intervention contre le dernier point de passage contrôlé par l’EI à la frontière avec la Turquie intervient alors que les cartes régionales semblent rebattues dans le conflit syrien. Explications.
Pour réagir aux attentats du groupe Etat islamique…
En envoyant ses chars contre les positions tenues par Daech, Ankara répond d’abord à l’attentat attribué par l’EI qui a tué 54 civils à Gaziantep samedi dernier. « Depuis janvier, la Turquie réplique régulièrement aux attaques de Daech, notamment aux tirs de roquette qui ont fait près de 20 morts dans la région de Kilis », explique à L’Express le chercheur Jean Marcou, spécialiste de la Turquie. En mai dernier, les autorités turques avaient annoncé une opération commando sur le sol syrien et la destruction d’armement de l’EI.
Après plusieurs attaques meurtrières de l’EI en Turquie depuis un an et demi, le gouvernement, longtemps accusé de complaisance à l’égard des djihadistes, se devait de réagir: « Nous ne voulons pas de Daech en Irak ni en Syrie », a déclaré, mardi, le ministre des Affaires étrangères turc.
… Et surtout à l’expansion kurde
Mais l’objectif primordial est de freiner l’avancée des forces kurdes du PYD en Syrie alors que la Turquie s’est jusque là accommodée du voisinage de l’EI. Le Parti de l’Union démocratique (PYD), qui bénéficie du soutien aérien et en armement des Etats-Unis, élargit de plus en plus le territoire sous son contrôle, soit directement, soit sous la bannière des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance constituée avec des forces arabes, sous sa tutelle. Il progresse au détriment de l’EI, de l’opposition anti-Assad, dans la région d’Azzaz et à Alep, mais aussi du régime, à Hassaké.
La Turquie, en conflit avec les Kurdes sur son propre territoire et farouchement hostile à l’idée que les Kurdes syriens forment une ceinture continue le long de sa frontière. « Ankara avait accepté, à regret, la création des FDS sous le patronage américain, mais mis un veto sur le contrôle par le PYD de la zone entre l’enclave kurde d’Afrin à l’ouest et l’Euphrate », précise Jean Marcou.
Le message semble cette fois entendu à Washington. En déplacement en Turquie ce mercredi, le vice-président américain Joe Biden, a assuré avoir enjoint les milices kurdes de ne pas franchir l’Euphrate vers l’ouest.
Pour favoriser les rebelles syriens face à l’avancée kurde
« La bataille pour la reprise de la ville de Djarabulus était en préparation depuis plusieurs mois », explique à L’Express Ziad Majed, spécialiste de la Syrie. Les forces turques ont pilonné au préalable les troupes de l’EI, mais aussi celles du PYD.
« La prise de Manbij par les Kurdes, le 12 août, a sans doute précipité la décision de lancer l’offensive, afin d’éviter qu’une nouvelle ville de la région ne tombe aux mains du PYD », poursuit le chercheur. « L’EI s’attendait à cette offensive et avait déplacé une partie de ses effectifs en direction de Raqqa », ces derniers jours.
Parce qu’elle profite d’une nouvelle dynamique régionale
L’intervention turque intervient alors que les équilibres régionaux ont sensiblement bougé au cours de l’été. Ankara a commencé à normaliser ses relations avec Moscou et multiplié, ces derniers jours, les rencontres avec Téhéran. Le coup de froid avec les chancelleries occidentales auxquelles elle reproche d’avoir attendu l’échec de la tentative de coup d’état pour le condamner est à l’origine de ces revirements diplomatiques.
« La Turquie en veut aussi aux Etats-Unis d’avoir privilégié le soutien aux forces kurdes face à l’insurrection, sans tenir compte de ses intérêts, explique Ziad Majed. Ainsi que d’avoir repoussé sa demande d’une zone-tampon dans le nord de la Syrie à l’abri des bombardements du régime. Compte tenu de ce repositionnement, Ankara pense sans doute avoir une plus grande marge de manoeuvre pour intervenir » en Syrie. Mais il n’est pas sûr que cette nouvelle dynamique amène Ankara a inverser radicalement ses alliances.
« La Turquie peut arriver à des compromis sur un certain nombre de sujets comme la question kurde avec l’Iran ou l’économie avec la Russie, observe le chercheur Thomas Pierret, sans que cela ne remette fondamentalement en cause ce qu’elle considère comme ses intérêts et ses atouts, notamment la carte de rébellion syrienne face au régime de Damas. »
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