Pourquoi la Turquie est-elle devenue la cible des médias français ?
TRT Français, le 28/03/2019
Etude
Öznur Küçüker Sirene, 27/03/2019
Il n’y a pas un seul jour où nous ne lisons pas un article négatif sur la Turquie en France. Si l’image du pays est aussi ternie par les médias français, les raisons sont nombreuses.
Les médias et la presse, considérés comme le « quatrième pouvoir » ont une grande responsabilité envers les lecteurs dans la transmission des faits d’actualité. Un journaliste devrait respecter les règles de la neutralité et de l’objectivité dans son métier mais force est de constater que de nos jours la plupart des médias français directement contrôlés et financés par l’Etat (en 2015, l’État français a distribué des millions d’euros de subventions à 326 titres de presse) manipulent de plus en plus les lecteurs en apparaissant plus comme des outils de propagande qu’organes de communication et d’information.
Le lien étroit entre les médias et la sphère politique française s’explique également par la concentration des grands médias entre les mains de quelques milliardaires qui ont eux-mêmes des liens avec l’Etat via leur participation à des marchés publics. Pour citer quelques exemples parmi d’autres, si Bouygues qui détient TF1 est impliqué dans des contrats sur le marché public dans le domaine de la construction, le propriétaire du Figaro, Dassault, est un acteur majeur de l’industrie de la défense française.
Dans un tel contexte où la transparence, l’indépendance et la pluralité des médias en France sont de plus en plus menacées, on constate une réelle défiance envers les médias conventionnels français. La récente couverture médiatique biaisée du mouvement des « gilets jaunes » a été en quelque sorte la dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase : les journalistes cédant facilement aux pressions des politiques sont de plus en plus conçus par le peuple français comme peu crédibles et inefficaces contre la propagation des « fake news ».
Si les grands médias français ont perdu leur crédibilité dans le traitement des sujets nationaux qui concernent directement la France, ils ont également tendance à valoriser ou diaboliser les pays étrangers en fonction du profil de leur audience et des intérêts de l’Etat français. La Turquie fait partie des pays les plus attaqués par ces médias tant en raison de son importance géostratégique que pour les différents enjeux qu’elle représente.
La Turquie : un sujet qui apporte de l’audience
Afin de comprendre pourquoi un pays comme la Turquie suscite autant d’intérêts en France, il convient déjà de déterminer tous les grands enjeux derrière le traitement médiatique de ce pays. En effet lorsqu’on parle de la Turquie, de nombreuses autres questions importantes entrent en jeu dont notamment l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, l’Islam, les sujets relatifs à la migration, au terrorisme et à la sécurité des frontières, tous étant des sujets d’actualité de première importance.
A l’heure actuelle, si les aspects négatifs de la Turquie sont mis en avant de façon exagérée et biaisée dans les médias français, il est rare d’y observer les développements positifs et encourageants dans le pays. Par ailleurs, la terminologie employée dans le traitement des sujets relatifs à la Turquie varie clairement en fonction des relations entre la Turquie et la France mais aussi de la tendance politique des médias.
Pour donner quelques exemples précis, si dans la période estivale vous pouvez souvent lire des articles concernant les mauvaises expériences vécues par les touristes étrangers en Turquie, vous pourrez rarement y trouver des articles mettant en lumière toute la beauté historique et culturelle de la Turquie. Au sujet de l’adhésion de la Turquie à l’UE, un sujet largement exploité par les responsables politiques turcophobes et islamophobes qui veulent attirer des votes, vous lirez dans la majorité des cas les discours et opinions des politiques et intellectuels s’opposant farouchement à l’intégration de la Turquie au sein de l’UE : « Pourquoi le malade turc inquiète l’Europe » (Le Figaro, le 30 août 2018), « Manfred Weber prône l’arrêt des négociations d’adhésion avec la Turquie » (Le Monde, le 25 mars 2019).
Dernièrement, même si l’UE reconnaît le PKK comme une organisation terroriste, les terroristes du PKK ou de sa branche syrienne YPG sont de plus en plus présentés comme des « rebelles », « indépendantistes » ou pire encore des « combattants de la liberté » qui « luttent contre Daech pour assurer la sécurité des Européens » dans les médias français. Il est également intéressant de noter que concernant la lutte de la Turquie contre le terrorisme, les noms des groupes terroristes PKK et YPG sont systématiquement remplacés par le terme « Kurdes » pour donner l’impression que la Turquie combat et persécute les Kurdes : « Syrie: les Turcs bombardent des Kurdes » (Le Figaro, le 28 octobre 2018), « Kurdes de Syrie : Si la Turquie nous attaque, nous ne pourrons plus lutter contre l’Etat islamique (en référence à Daech) » (Le Monde, le 21 décembre 2018), « Les Kurdes de Syrie rejettent une « zone de sécurité » sous contrôle turc » (France 24, le 16 janvier 2019).
La « nouvelle Turquie » perçue comme une menace
Si la Turquie est aussi attaquée par les médias français avec les gros titres, ce n’est pas uniquement parce qu’elle intéresse les Français mais aussi parce qu’elle « suscite des craintes et inquiétudes » en raison de son importance géostratégique entre l’Europe et l’Asie, ce qui fait que son avenir est intimement lié à celui de l’UE.
La Turquie est effectivement un acteur incontournable des relations internationales dont les orientations socioéconomiques et politiques influencent directement les pays de l’Union européenne y compris la France.
Si la croissance économique fulgurante de la Turquie depuis l’arrivée au pouvoir du Parti de la Justice et du Développement (AKP) en 2002 est une donnée positive pour la stabilité des pays européens, elle est également perçue comme une menace dans un contexte de concurrence entre les pays émergents et les pays développés en stagnation voire en récession économique avec une population de plus en plus âgée.
La volonté de la Turquie de gagner de plus en plus d’indépendance économique dans le cadre de ses objectifs 2023 en développant et diversifiant ses productions comme dans le domaine de la défense mais aussi de ne plus céder aux pressions de l’UE en renouant des liens forts avec d’autres acteurs internationaux comme la Russie et la Chine inquiètent les cercles politiques européens et français.
Ses activités économiques et humanitaires dans différentes régions du monde comme les Balkans et les pays arabes sont même qualifiées de « néo-ottomanisme » par les médias français qui ne le voient pas de bon œil.
Erdoğan : un président qui ne mâche pas ses mots, sous le feu des médias français
Un autre argument majeur dans la diabolisation médiatique de la Turquie est la perception du président turc Recep Tayyip Erdoğan en France et en Europe.
Si au début de son mandat en Turquie en tant que Premier ministre, il était favorablement accueilli comme le « représentant de l’Islam modéré » dans le monde, l’approche des médias vis-à -vis de son personnage a progressivement évolué dans un sens extrêmement négatif voire caricatural.
Aujourd’hui injustement décrit comme « un dictateur islamiste », il est présenté au même titre que le président américain Trump ou le président russe Poutine comme un président « populiste » qui ne respecte pas la démocratie et les droits de l’homme mais qui n’agit qu’à des fins électoralistes.
C’est ainsi à son sujet que nous assistons aux pires manipulations : si son caractère charismatique et ses qualités d’orateur hors du commun font de lui un sujet de préférence pour les journalistes et intellectuels français qui veulent se faire remarquer, ses propos et discours sont souvent détournés pour mettre en avant un personnage haineux et radical, comme le montre clairement un récent article des Valeurs Actuelles : « L’appel d’Erdogan à la guerre de religions et à la haine envers l’Europe après l’attentat de Nouvelle Zélande » (le 25 mars 2019).
Ses prises de position courageuses sur l’actualité internationale créent de la matière à exploiter : de l’affaire Khashoggi au statut de Jérusalem, de l’attentat terroriste de Christchurch aux tragédies mondiales comme l’accueil des réfugiés syriens ou encore la persécution des Musulmans Rohingyas en Birmanie, des projets extraordinaires qu’il met en place en Turquie aux partenariats qu’il développe dans le monde, Erdoğan se démarque clairement des autres leaders mondiaux.
En conclusion, il est impossible de parler de la neutralité et de l’objectivité journalistiques en France dans le traitement médiatique de la Turquie. Si l’islamophobie et la turcophobie avancent de pair en Europe, la contribution des médias français à la création d’une telle ambiance de haine et de division est indéniable. « Celui qui contrôle les médias contrôle les esprits », disait le chanteur et poète américain Jim Morrison. N’est-il donc pas temps de réagir face à l’irresponsabilité des médias français avant qu’ils ne marquent les esprits à jamais avec autant de manipulations véhiculées quotidiennement sur la Turquie ?
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