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Le Monde, le 27/02/2020
TRIBUNE
Collectif
Dans une tribune au « Monde », quatorze ministres des affaires étrangères de pays membres de l’Union européenne appellent la Russie à poursuivre les négociations afin d’aboutir à une désescalade à Idlib, en Syrie.
A Idlib se joue une nouvelle catastrophe humanitaire, l’une des pires d’une crise syrienne qui, en près d’une décennie, en a provoqué d’innombrables. Le régime de Damas persiste dans une stratégie de reconquête militaire du pays à n’importe quel prix, quelles qu’en soient les conséquences pour les civils.
Depuis le mois de décembre 2019, ses opérations dans le Nord-Ouest s’intensifient, avec l’appui de la Russie, et notamment de son aviation. Les frappes aériennes incessantes et le largage de barils d’explosifs ont jeté sur les routes près d’un million de Syriens en quelques semaines. Les structures d’accueil sont saturées, des centaines de milliers de personnes, en majorité des femmes et des enfants, s’amassent dans des campements de fortune, à la merci du froid, de la faim et des épidémies.
Au mépris du droit international humanitaire, les frappes visent délibérément des hôpitaux et des centres de santé, dont soixante-dix-neuf ont dû cesser de fonctionner, des écoles et des abris. Selon le Haut-Commissariat des Nations unis aux droits de l’homme, 298 civils ont trouvé la mort à Idlib, depuis le 1er janvier.
« La lutte contre le terrorisme ne peut pas, ne doit pas, justifier les violations massives du droit international humanitaire »
Nous sommes parfaitement lucides sur la présence de groupes radicaux à Idlib. Nous ne prendrons jamais à la légère le problème du terrorisme : nous le combattons avec détermination, et nous sommes engagés en première ligne dans la lutte contre l’organisation Etat islamique. Mais la lutte contre le terrorisme ne peut pas, ne doit pas, justifier les violations massives du droit international humanitaire, auxquelles nous assistons chaque jour dans le nord-ouest de la Syrie.
Les Nations unies (ONU) ont mis en garde contre le risque d’une crise humanitaire sans précédent si l’offensive en cours se poursuit. Nous appelons le régime syrien et ses soutiens, notamment russes, à mettre un terme à cette offensive et à en revenir aux arrangements de cessez-le-feu de l’automne 2018. Nous les appelons à la cessation immédiate des hostilités et au respect de leurs obligations au titre du droit international humanitaire, en particulier la protection des travailleurs humanitaires et des personnels médicaux, qui paient de leur vie leur engagement en faveur des populations civiles.
Nous appelons également la Russie à poursuivre les négociations avec la Turquie, afin d’aboutir à une désescalade à Idlib et de contribuer à une solution politique.
Au-delà de l’urgence d’une trêve, nous appelons la Russie à ne pas empêcher, dans les prochains mois, le renouvellement par le Conseil de sécurité de l’ONU du mécanisme permettant d’acheminer vers le Nord-Ouest syrien une aide humanitaire transfrontalière dont la région a cruellement besoin. Ce mécanisme, la Russie l’a déjà fermé dans le Nord-Est, où nous devons maintenant trouver des alternatives au point de passage de Yaroubiya. Qui peut penser aujourd’hui que le régime syrien autorisera lui-même l’aide à parvenir à ceux qui en ont besoin, alors qu’il est le premier responsable de leur situation ?
Lutter contre l’impunité
Enfin, rappelons que seule une solution politique négociée pourra mettre fin durablement à la crise syrienne. La normalisation politique ne pourra avoir lieu tant qu’un processus politique réel et irréversible ne sera pas fermement engagé.
Tout à sa stratégie militaire, le régime cherche précisément à entraver tout processus politique inclusif, en bloquant toutes les discussions constitutionnelles prévues à Genève, sous l’égide de l’envoyé spécial de l’ONU, Geir Pedersen.
Mais la reconquête en cours est en trompe-l’œil, et les mêmes causes produiront les mêmes effets : la radicalisation, l’instabilité en Syrie et dans la région, l’exil, dans un pays dont plus de la moitié de la population est déplacée ou réfugiée.
Nous saluons les efforts considérables déployés par les voisins de la Syrie pour offrir un refuge aux Syriens qui ont dû quitter leurs foyers. Face à la tragédie en cours, les Européens aussi prennent leurs responsabilités. Sous l’angle humanitaire, l’Union européenne et ses Etats membres sont les premiers donateurs en soutien aux populations syriennes. Nous soutiendrons et développerons ces efforts collectifs déployés face à la crise actuelle à Idlib.
L’Europe continue d’exercer des pressions sur le régime pour qu’il s’engage véritablement dans le processus politique. Les Européens ont adopté, le 17 février, de nouvelles sanctions ciblant, à titre individuel, les hommes d’affaires syriens qui alimentent l’effort de guerre du régime et prospèrent sur ses retombées.
« Nous continuerons également d’œuvrer en faveur d’une saisine de la Cour pénale internationale »
Notre responsabilité, c’est aussi de lutter contre l’impunité pour les crimes commis en Syrie. C’est une question de principe et de justice. C’est aussi une condition nécessaire à une paix durable, au sein d’une société syrienne déchirée par près de dix années de conflit.
Nous entendons poursuivre notre soutien aux mécanismes de lutte contre l’impunité, mis en place par l’ONU, dont les travaux de collecte de preuves sont indispensables pour préparer de futures poursuites contre les responsables des crimes les plus graves : la Commission d’enquête internationale sur la Syrie et le Mécanisme d’enquête international, impartial et indépendant.
Nous continuerons également d’œuvrer en faveur d’une saisine de la Cour pénale internationale. Nous maintiendrons notre engagement, notamment dans le cadre de nos juridictions nationales, pour que les crimes commis en Syrie ne restent pas impunis. Il s’agit notamment de l’emploi d’armes chimiques et des violations des normes les plus fondamentales du droit international. Nous devons établir les responsabilités et demander des comptes. La lumière doit être faite sur le sort des nombreux détenus et personnes disparues.
Les ministres des affaires étrangères :
Stephanus Blok (Pays-Bas) ; Simon Coveney (Irlande) ; Jacek Czaputowicz (Pologne) ; Luigi Di Maio (Italie) ; Philippe Goffin (Belgique) ; Arancha Gonzalez Laya (Espagne) ; Pekka Haavisto (Finlande) ; Jeppe Kofod (Danemark) ; Jean-Yves Le Drian (France) ; Ann Linde (Suède) ; Linas Linkevicius (Lituanie) ; Heiko Maas (Allemagne) ; Urmas Reinsalu (Estonie) ; Augusto Ernesto Santos Silva (Portugal).
Collectif
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