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Le Monde, le 24/07/2018
Par Thomas Wieder (Berlin, correspondant)
Le joueur d’origine turque, icône de l’intégration, a décidé de quitter la sélection allemande pour protester contre le « racisme » à son égard.
Après la débâcle sportive, l’onde de choc politique. Près d’un mois après l’élimination de l’Allemagne dès le premier tour de la Coupe du monde, le départ du joueur Mesut Özil de l’équipe nationale suscite une polémique. Les enjeux dépassent le cadre footballistique. « C’est avec le cœur lourd et après beaucoup de réflexion que (…) je ne jouerai plus pour l’Allemagne de matchs internationaux, aussi longtemps que je ressentirai du racisme et du manque de respect à mon égard », a indiqué sur Twitter, dimanche 22 juillet, le milieu de terrain allemand d’origine turque, âgé de 29 ans.
Cette annonce a déclenché une avalanche de réactions. « Le départ de Mesut Özil est une césure sportive, politique et sociétale », observait, lundi, le quotidien Tagesspiegel. « Mesut Özil n’était pas n’importe quel joueur dans cette équipe nationale. C’était un symbole de cohabitation et de vivre-ensemble pour les citoyens d’origine turque qui, depuis X générations, vivent en Allemagne. Cette brutale rupture entre Özil et l’équipe nationale est la vraie défaite de cet été – bien plus que celle des onze joueurs allemands au premier tour de la Coupe du monde », analysait, de son côté, le Süddeutsche Zeitung.
Pour comprendre l’émotion suscitée par cette affaire, il faut remonter au 13 mai. Ce jour-là , une série de photos montrent deux joueurs allemands d’origine turque, Mesut Özil et Ilkay Gündogan, poser aux côtés du président turc Recep Tayyip Erdogan et lui offrir des maillots de leurs équipes respectives, Arsenal pour le premier, Manchester City pour le second.
« Allemand quand nous gagnons, immigré quand nous perdons »
Prises à Londres, ces photos avaient été opportunément diffusées sur les réseaux sociaux par les partisans de M. Erdogan. A six semaines des élections présidentielle et législatives turques, ce dernier – qui fut réélu, le 24 juin, dès le premier tour – ne pouvait rêver meilleure publicité. En Allemagne, ces images avaient été condamnées par tous les partis politiques, qui ont critiqué cet hommage rendu à un dirigeant étranger à la tête d’un régime autoritaire.
Dimanche, Mesut Özil a estimé que ces reproches étaient infondés. « Comme beaucoup de personnes, mes origines proviennent de différents pays, a expliqué le joueur de 29 ans né à Gelsenkirchen, une ville industrielle de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le Land qui compte la plus importante communauté turque. J’ai deux cœurs : un allemand et un turc. (…) Pour moi, faire une photo avec le président Erdogan n’était en aucun cas politique, il s’agissait juste (…) de ne pas manquer de respect aux racines de mes ancêtres. »
Dans la lettre justifiant son départ, Mesut Özil s’en est également pris à Reinhard Grindel, président de la Fédération allemande de football (DFB) et ancien député de l’Union chrétienne-démocrate (CDU). « Aux yeux de Grindel et de ses soutiens, je suis allemand quand nous gagnons, mais je suis un immigré quand nous perdons », a-t-il déploré, en référence au peu de soutien que lui a apporté la DFB après l’élimination de l’Allemagne de la Coupe du monde, qui lui a valu de violentes attaques racistes, lui qui avait joué dans l’équipe victorieuse du Mondial 2014, au Brésil.
Depuis dimanche, les réactions sont très diverses. D’un côté, certains ont choisi d’accabler Mesut Özil. C’est le cas du tabloïd conservateur Bild, qui a qualifié ses explications de « jérémiades ». Pour le quotidien le plus lu d’Allemagne, le joueur est indéfendable, d’abord en raison de son soutien à M. Erdogan, un « despote » qui cherche à imposer une « dictature islamiste », ensuite à cause de son jeu « minable » lors de la Coupe du monde. Un argument repris par Uli Hoeness, le président du Bayern Munich.
« Le succès n’existe que dans la diversité »
A l’inverse, plusieurs journaux et responsables politiques ont affirmé qu’il fallait prendre au sérieux ses explications. « Il s’agit d’un signal d’alarme lorsqu’un grand joueur de football allemand comme Mesut Özil ne se sent plus représenté dans son pays à cause du racisme », a estimé la ministre sociale-démocrate de la justice, Katarina Barley. « C’est dramatique si de jeunes citoyens germano-turcs ont maintenant l’impression qu’ils n’ont pas leur place dans l’équipe nationale. Le succès n’existe que dans la diversité, non dans l’unicité. C’est ainsi que nous sommes devenus champions du monde en 2014. Et que la France l’est devenue cette année », a affirmé Cem Özdemir, président du groupe écologiste au Bundestag, lui-même d’origine turque.
Quant à Angela Merkel, elle a également réagi, mais en veillant ne pas donner à ses propos de dimension politique. « Comme vous le savez, la chancelière apprécie beaucoup Mesut Özil. Il a beaucoup fait pour l’équipe nationale et a pris une décision qui doit être respectée », a déclaré l’une des porte-parole du gouvernement fédéral, Ulrike Demmer.
La réaction prudente de la chancelière n’est guère surprenante, cette dernière s’étant toujours montrée soucieuse de ne pas attiser les tensions au sein de la communauté turque en Allemagne, forte d’environ 3 millions de personnes et où M. Erdogan compte de nombreux partisans. A la présidentielle du 24 juin, environ 65 % des électeurs turcs installés outre-Rhin ont voté pour lui, soit douze points de plus que son score total.
Deux autres raisons expliquent le ton mesuré de Mme Merkel. La première tient à son souci de ne pas s’aventurer dans des débats qui divisent son camp, la droite conservatrice (CDU-CSU), que ce soit sur la double nationalité ou sur la place de l’islam dans la société allemande. La seconde est liée à l’instrumentalisation dont cette affaire fait l’objet à Ankara.
Depuis dimanche, plusieurs membres du gouvernement de M. Erdogan ont en effet salué le retrait de Mesut Özil. « Je félicite Mesut Özil qui, en quittant l’équipe nationale d’Allemagne, a marqué le plus beau but contre le virus du fascisme », a ainsi commenté le ministre turc de la justice, Abdülhamit Gül.
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