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Le Point avec AFP, le 11/10/2017Â
Malgré les obstacles, l’industrie du vin turque s’accroche pour vivre © AFP / OZAN KOSE AFP
Dans la péninsule turque de Gallipoli, entre la mer Egée et le détroit des Dardanelles, des femmes au visage encadré par un voile coloré cueillent méticuleusement des grappes de raisin, sous une chaleur torride de fin d’été. Mais elles ne goûteront pas au vin.
« Nous mangeons le raisin, mais n’avons jamais bu de vin. Aucune de nous n’en boit », sourit Aynur, qui dirige l’équipe.
La Turquie est un pays majoritairement musulman et la plupart des Turcs ne consomment pas d’alcool, considéré comme « haram » (interdit) par l’islam.
Mais le pays possède une longue tradition viticole, bénéficiant d’un climat idéal pour la viticulture.
« Le climat est très adapté, nous avons des étés chauds, de l’humidité, donc les plantes sont actives et très heureuses », explique Mark Sims, le gérant australien du vignoble Suvla, principal producteur de vin de la péninsule de Gallipoli.
Le viticulteur turc Hikmet Ataman goûte sa production. Vignoble de Suvla, le 28 août 2017 à Cannakale © OZAN KOSE AFP
Le vignoble Suvla a démarré à Gallipoli dans les années 2000, avec des cépages français tels que le Chardonnay, le Cabernet sauvignon ou le Merlot. La plupart du vin produit en Turquie provient toutefois de cépages turcs tels que le Kalecik Karasi, l’Okuzgozu et le Narince.
Mais la production reste limitée: si la Turquie a la cinquième plus grande superficie viticole au monde avec 480.000 hectares cultivés, selon l’organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), ses raisins terminent bien plus souvent dans les corbeilles de fruits ou consommés secs que pressés et transformés en vin.
Seuls 0,05 % de la production mondiale de vin et 0,06 % de la consommation mondiale ont lieu en Turquie, selon l’Institut du vin basé en Californie.
Le poids de la religion
Un écart qui s’explique surtout par la religion, selon Murat Yanki, sommelier et dirigeant de la plateforme de tourisme viticole turque Vinotolia.
Le climat de la péninsule de Gallipoli en Turquie est adapté à la culture des vignes, avec des étés chauds et de l’humidité © OZAN KOSE AFP
« Alors que la Turquie se place au 5e rang mondial pour la surface du vignoble et au 6e pour la quantité de raisins produits, elle n’est qu’au 30e rang pour la production de vin », explique-t-il. « Une grande partie du raisin est utilisée pour d’autres motifs, pour des raisons surtout religieuses », dit-il.
Les principaux producteurs de vin en Turquie se trouvent sur la péninsule de Gallipoli, sur la côte égéenne, en Anatolie centrale, ainsi que, pour certains, dans le sud-est du pays.
M. Yanki évoque la « qualité excellente » de certaines bouteilles produites en Turquie, où l’on trouve à la fois des rouges, des blancs et des rosés.
Mais le sommelier déplore un manque d’intérêt pour le vin turc à l’étranger. Seuls 2 % des vins turcs sont exportés, souligne-t-il, vers la Belgique essentiellement, mais aussi l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis.
Pour l’Australien M. Sims, il est temps d' »attaquer le marché de façon plus agressive ».
Restrictions et taxes
Les viticulteurs se plaignent des régulations restrictives et des taxes élevées mises en place sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan, un musulman pieux.
En 2013, le parti islamo-conservateur au pouvoir AKP a fait adopter une loi qui interdit la vente au détail d’alcool de 22H à 6H du matin et la prohibe en permanence à proximité des écoles et des mosquées du pays. Cette loi interdit également toute publicité pour l’alcool.
La production de vin dans la péninsule de Gallipoli en Turquie a commencé dans les années 2000 © OZAN KOSE AFP
M. Erdogan a justifié ces mesures par des impératifs de santé publique et le gouvernement a assuré que la loi se contentait de réguler la consommation d’alcool sans l’interdire.
Mais « l’interdiction de la publicité des vins et de la vente sur internet ont eu une influence négative sur l’expansion de la culture du vin dans le pays », constate M. Yanki.
Les restrictions sur les ventes d’alcool n’ont rien de nouveau en Turquie: le café, le tabac et l’alcool avaient été interdits sous peine de mort au 17e siècle par le Sultan ottoman Mourad IV – qui, alcoolique, avait fini lui-même par mourir d’une cirrhose.
De fait, ce sont surtout les taxes qui ont le plus entravé les viticulteurs turcs: depuis son arrivée au pouvoir en 2002, l’AKP a fait de l’alcool une de ses cibles fiscales favorites, avec l’introduction d’une taxe spéciale à la consommation (ÖTV) et une TVA de 18 % sur les achats d’alcool.
‘Potentiel énorme’
La hausse des prix a fait baisser la consommation de vin en Turquie. Celle-ci a chuté de plus de 10 millions de litres en quelques années, passant de 62 millions de litres de vin consommés en 2014 et 63 millions en 2015 à seulement 51 millions de litres en 2016, selon l’autorité de régulation de l’alcool et du tabac (TAPDK).
Seuls 2% des vins turcs sont exportés. Malgré les obstacles sur leur route, les producteurs turcs gardent espoir © OZAN KOSE AFP
Faute de réussir à vendre correctement leur vin, des producteurs turcs ont dû réduire la voilure ou mettre la clef sous la porte, relève Hikmet Ataman, viticulteur à Suvla.
Mais malgré les obstacles, les producteurs gardent espoir.
« La situation est ce qu’elle est pour le moment, mais cela peut changer à l’avenir », veut croire M. Ataman. « Ce qui importe, c’est la terre et le climat que nous avons déjà  ».
Pour M. Sims, le vin turc « gagne en visibilité dans le monde », avec des médailles d’or remportées dans des concours ces dernières années.
Et « certaines variétés montrent un potentiel énorme pour le marché international », assure-t-il.
11/10/2017 14:10:26 –         Çanakkale (Turquie) (AFP) –         © 2017 AFP
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