PHOTOGRAPHIE – Doigt en l’air, une arme à la main et le visage marqué par la colère: l’image de l’assassin de l’ambassadeur russe en Turquie, prise par le photographe turc Burhan Ozbilici, a remporté le premier prix du plus prestigieux concours de photojournalisme, ont annoncé lundi 13 février les organisateurs du World Press Photo.
Les juges ont salué le courage du photojournaliste de l’agence Associated Press (AP), qui a pris la photo le 19 décembre alors que Mevlüt Mert Altintas, un policier âgé de 22 ans qui n’était pas de service, tirait neuf balles sur l’ambassadeur de Russie à Ankara, Andreï Karlov. Le policier avait ensuite été lui-même abattu, après avoir lancé « Allah Akbar » et affirmé vouloir venger Alep.
« C’était une décision très, très difficile, mais à la fin, nous avions le sentiment que l’image de l’année était une image explosive qui témoignait vraiment de la haine de notre époque », a commenté Mary F. Calvert, membre du jury, citée dans un communiqué.
Vue 18 millions de fois dans les heures qui ont suivi l’assassinat, cette image « a marqué un moment important dans l’histoire de la Turquie », a expliqué à l’AFP Burhan Ozbilici. « Donc là , je devais faire mon travail. En tant que journaliste, je ne pouvais pas partir pour sauver ma peau ».
Plus de 5000 photographes issus de 125 pays ont soumis quelque 80.000 images au jury. Parmi eux, 45 ont été récompensés dans huit catégories différentes.
Trois photographes de l’Agence France-Presse ont également été récompensés pour leur travail. Basé aux Philippines, Noel Celis monte sur la troisième place du podium dans la catégorie « General News » (informations générales) pour une image prise dans une prison surpeuplée, construite pour accueillir 800 détenus mais qui en héberge près de 4000.
On y voit des hommes entassés, torse nu, visage marqué, tentant de dormir sur les marches d’une cage d’escalier en béton.
Les images de l’AFP prises en Syrie ont également été récompensées par le deuxième prix des catégories « Spot News, Singles » (Informations brûlantes, image seule) et « Spot News, Stories » (reportages). L’image d’Abd Doumany montre deux petites filles, le visage couvert de poussière et de sang, soignées par un infirmier. Des enfants vivant l’horreur de la guerre et secourus des décombres d’Alep sont également au coeur de la série d’Ameer Alhalbi.
Stuart Franklin, président du jury, a salué le courage de ces jeunes journalistes syriens « prenant des risques terribles (et) racontant leur histoire depuis l’enfer ».
Le jury divisé
Arrivé en retard ce jour-là à l’inauguration de cette exposition d’art, Burhan Ozbilici raconte avoir tout de suite saisi la gravité de la situation en entendant les tirs. Il s’est dit désolé pour la mort de l’ambassadeur, « un homme digne, sincère mais tué comme un résultat de la catastrophe syrienne ».
Lui qui a couvert le coup d’Etat avorté en Turquie et mené des missions en Syrie, en Libye ou en Egypte dit avoir toujours essayé d’être prêt pour des moments difficiles et d’avoir le « courage, vis-à -vis d’un monde pourri par les malhonnêtes, par les corrompus, faire quelque chose de bien ».
Pour Joao Silva, photographe du New York Times également membre du jury, cette image d’un homme qui « avait clairement atteint un point de rupture » représente tout ce qu’il se passe à travers le monde aujourd’hui. « C’est le visage de la haine ».
Mais le cliché de Ozbilici est loin de faire l’unanimité. Dans une tribune publiée sur le site britannique du Guardian, Stuart Franklin, président du jury, a exprimé son désaccord sur le choix de ses confrères.  » Ozbilici est un photographe qui marque les esprits, il n’y a aucun doute là -dessus, affirme Franklin, avant d’ajouter qu’il a voté contre. « Désolé, Burhan. C’est la photographie d’un meurtre, avec le tueur et sa victime, tous les deux sur la même image, et moralement aussi compliqué à publier qu’une décapitation de terroristes. »
« Pour être clair, ma position morale n’est pas que le photographe bien intentionné doive se voir refuser la gloire qu’il mérite; c’est plutôt que je crains que nous n’amplifions le message terroriste à travers la publicité qu’amène le premier prix », précise Stuart Franklin.
Abordant un large éventail de thématiques et d’événements, comme les tensions raciales à Baton Rouge, aux Etats-Unis, ou les murs construits à travers le monde face à la crise migratoire, la sélection de cette année est « osée », selon la photographe jordanienne Tany Habjouqa, membre du jury, et va mener à un débat « essentiel à avoir ».
Fin janvier, un membre du jury n’a pas pu quitter Washington en raison du décret du président Donald Trump interdisant provisoirement l’accès aux Etats-Unis aux ressortissants de sept pays où la population est en majorité musulmane.