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Le Temps, le 02/04/2016
La route des Balkans s’arrête à Idomeni, à la frontière macédonienne. © REUTERS/Marko Djurica
L’accord entre l’Union européenne et la Turquie doit entrer en vigueur ce lundi avec les premiers renvois de migrants et réfugiés depuis la Grèce. Les critiques et les obstacles se multiplient
La Turquie reprendra dès lundi les premiers migrants et réfugiés expulsés depuis la Grèce. En contrepartie, l’Allemagne, grande initiatrice de l’accord controversé conclu le 18 mars entre Ankara et l’Union européenne (UE), commencera à accueillir des Syriens arrivés directement de Turquie. Cet accord pose tant de questions sur sa légalité mais aussi sur son efficacité que beaucoup d’observateurs doutent de son application.
La Turquie est-elle un pays sûr?
Une question de vie ou de mort pour les réfugiés qui risquent d’être renvoyés dans le pays qu’ils fuyaient. Tenus par la Convention sur les réfugiés de 1951, avec comme principe cardinal le non-refoulement, les Européens veulent croire que la Turquie est un pays sûr. Dans le cas contraire, le droit international leur interdirait d’y renvoyer des requérants d’asile. Depuis le début de la guerre en Syrie, la Turquie a accueilli 2,7 millions de ses voisins. Elle continue d’absorber des vagues d’arrivées au gré des combats. Mais Amnesty International a révélé, vendredi, la face cachée de l’hospitalité turque. Selon l’ONG, près d’une centaine de Syriens sont renvoyés discrètement chez eux chaque jour depuis le mois de janvier.
Une famille a ainsi raconté comment deux frères avaient été arrêtés par la police en février dernier avec leur neveu et leurs deux nièces dans un parc. «Ils ont été mis dans un bus surveillé par un soldat armé d’un fusil d’assaut. Il y avait sept bus avec une trentaine de personnes à bord de chacun, des familles pour la plupart», a expliqué à Amnesty l’un des frères depuis le camp de déplacés d’Atma, en Syrie, où il doit veiller sur trois enfants séparés de leurs parents. «Si l’accord est mis en œuvre comme prévu, il existe un risque réel que certaines des personnes renvoyées par l’UE en Turquie connaissent le même sort», met en garde John Dalhuissen, le directeur pour l’Europe d’Amnesty International. Le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) réclame lui aussi des garanties avant le début des renvois vers la Turquie.
Les migrants sont-ils dissuadés de prendre la mer?
C’est le pari des Européens qui veulent saborder le modèle d’affaires des passeurs. En 2016, les traversées de la mer Egée en canot pneumatique ont déjà fait 366 victimes, dont beaucoup d’enfants. Depuis l’annonce de l’accord du 18 mars, les arrivées en Grèce ont fortement diminué. A la fin du mois de mars, environ 300 personnes ont débarqué en moyenne chaque jour sur les îles de Lesbos ou Chios, à quelques kilomètres des côtes turques. Le 29 mars, date des derniers relevés, 766 arrivées ont toutefois été enregistrées, contre environ 2000 quotidiennement au mois de février.
Fin mars, la mer était très mauvaise, rappelle le HCR. «Il y a plusieurs facteurs, estime Melissa Fleming, la porte-parole de l’organisation onusienne. Bien sûr que les réfugiés sont moins enclins à risquer leur vie sachant qu’ils pourront être ensuite expulsés vers la Turquie. Mais ils ne sont pas forcément au courant et les passeurs ne contribuent pas à les informer.» Pour juger de l’efficacité de la stratégie européenne, il faudra attendre une mer plus clémente. L’an dernier, le nombre de traversées avait explosé avec l’arrivée des beaux jours.
Qu’adviendra-t-il des personnes coincées en Grèce?
Environ 51 000 réfugiés et migrants se trouvent toujours dans le pays, dont 5000 sur les îles grecques arrivés après le 20 mars. En vertu de l’accord entre Bruxelles et Ankara, ces derniers sont susceptibles d’être déportés vers la Turquie. Les renvois doivent commencer ce lundi. Les centres d’accueil («hotspots») à Lesbos ou Chios se sont donc transformés en lieux fermés. Pour ne pas cautionner ces détentions, les organisations humanitaires s’en sont retirées. «Nous continuons à observer la situation et à informer les réfugiés sur leurs droits et les procédures d’asile, justifie Melissa Fleming. Si les gens devaient mourir de faim ou de froid, nous y reviendrions.» Ce n’est heureusement pas le cas, même si les camps sont surpeuplés, la nourriture manque et les gens dorment dehors. «L’anxiété et la frustration augmente. D’autant que beaucoup de familles ont été séparées à travers la Grèce, renforçant la peur des renvois», continue Melissa Fleming. Vendredi, des centaines de migrants se sont échappés du camp de Vial, sur l’île de Chios. La veille, des émeutes y avaient éclaté, faisant trois blessés. Ces mouvements de résistance risquent de se multiplier.
Manifestation devant le centre de Moria, à Lesbos, transformé en lieu de détention pour les migrants et les réfugiés EPA/STRATIS BALASKAS / STRATIS BALASKAS
La situation sur le continent n’est pas plus enviable, notamment dans le port du Pirée ou à Idomeni, à la frontière avec la Macédoine. A défaut de pourvoir continuer sa route à travers les Balkans, désormais fermée, chaque migrant ou réfugié a théoriquement le droit à un examen de sa situation. S’ils sont arrivés avant le 20 mars, les réfugiés peuvent demander l’asile en Grèce. Ou attendre une hypothétique relocalisation dans un autre pays européen. Car, pour l’instant, les pays de l’UE ont fait preuve d’une solidarité minimale avec la Grèce et l’Italie: moins de 1000 transferts, sur les 160 000 promis. Autre problème: l’Etat grec est exsangue et les services de l’asile débordés. Et les experts européens attendus en renforts commencent à peine à arriver…
Les routes d’immigration sont-elles en train de changer?
On peut le craindre. Jeudi, un bateau est arrivé dans le port d’Otranto, dans le sud de l’Italie, en provenance de la Grèce. A son bord: 22 Syriens et Somaliens. Une première. Sur le principe des vases communiquant, les arrivées vers l’Italie directement depuis la Grèce, la Libye ou l’Egypte pourraient se multiplier. Pour l’instant, très rares sont les Syriens, les Afghans et les Irakiens – soit trois quarts des migrants arrivés par bateau en Grèce – à débarquer sur les côtes italiennes. La traversée depuis la Turquie est bien plus longue et dangereuse. Mais plus lucrative aussi. Vendredi, le journal britannique Guardian a repéré une annonce sur Facebook. Des trafiquants proposaient la traversée vers l’Italie pour 4000 dollars, quatre fois plus que pour la traversée vers les îles grecques. Départ: samedi 2 avril depuis le port turc de Mersin, non loin de la frontière syrienne. L’annonce a depuis disparu, mais pas le commerce de la misère humaine.
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