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Capital, le
Nicolas GALLANT
La crise turque provoque des turbulences dans de nombreux pays émergents. Une accentuation des craintes pourrait favoriser une crise marquée, avec un fort impact à la clé sur les marchés.
La crise turque a fait couler beaucoup d’encre, dernièrement, d’autant qu’elle a des ramifications bien au-delà des frontières du pays d’Erdogan, son président fraîchement réélu. Outre les craintes pesant sur certaines banques européennes, et qui ont affecté les valeurs bancaires du Vieux Continent, les devises de certains pays émergents ont aussi souffert d’un mouvement de contagion, les investisseurs internationaux se retirant en masse.
“Depuis le début de la crise turque, il y a trois semaines, de nombreux pays ont été affectés et on a observé une assez forte corrélation sur les variations de cours des devises du monde émergent face au dollar (la monnaie de référence NDLR). Les devises des pays émergents les plus fragiles se sont dépréciées”, souligne à cet égard Stéphane Déo, stratégiste à La Banque Postale Asset Management, pôle de gestion d’actifs de l’établissement éponyme. “La pression baissière sur les devises des pays émergents est assez diffuse, car face aux turbulences turques, de nombreux investisseurs ont revendu leurs parts de fonds émergents – tant d’obligations que d’actions – si bien qu’ils ne se désengagent pas uniquement des actifs turcs, mais aussi de ceux des autres pays émergents”, explique l’expert. Reste que cette vague baissière généralisée, particulièrement marquée sur les pays les plus fragiles, ne constitue que le point d’orgue d’un mouvement de fond déjà installé depuis plusieurs trimestres.
Le durcissement monétaire mettait déjà depuis plusieurs trimestres la pression sur les pays émergents
“Entre début janvier et fin juillet, soit avant l’éclatement de la crise, la livre turque s’était déjà dépréciée de 30% face au dollar. Et le rand sud-africain, le ringgit malais, ainsi que les roupies indienne et indonésienne avaient également souffert, de leur côté, notamment au deuxième trimestre”, souligne en effet Stéphane Déo. “Comme la Fed relève progressivement son taux directeur, les dollars se raréfient dans ces pays émergents (du fait des rapatriements de capitaux aux Etats-Unis, où ils sont de mieux en mieux rémunérés, NDLR), qui se retrouvent ainsi fragilisés, d’autant qu’ils pâtissent de déséquilibres les rendant vulnérables. Leurs devises ont accusé le coup, si bien que les banques centrales ont relevé leurs taux directeurs pour les défendre (une monnaie mieux rémunérée est censée s’apprécier, NDLR)”, explique-t-il.
Du fait des vents contraires soufflés par la banque centrale des Etats-Unis, les problèmes des pays les plus fragiles se sont amplifiés d’un coup. Et “la Turquie figurait parmi les pays en première ligne, du fait de ses importants déséquilibres extérieurs. En effet, sa balance courante (solde des échanges de biens, de services, de revenus et de transferts courants, NDLR) est lourdement déficitaire. Et la Banque centrale du pays est trop laxiste. En janvier, le taux directeur était de 8%, contre une inflation de 12,98%, soit des taux d’intérêt réels de -5% ! Dans ces conditions, que la Turquie soit un des premiers dominos à tomber n’est pas étonnant”, relève Stéphane Déo.
La prudence reste de rigueur
La volatilité devrait rester de mise, les turbulences turques n’étant pas prêtes à s’estomper à court terme, estime Stéphane Déo. D’abord, “quand une crise de change éclate, la banque centrale du pays en question doit relever son taux directeur pour protéger la devise, ce qu’elle ne fait pas”, souligne-t-il. Or, la banque centrale turque ne semble toujours pas en prendre le chemin, d’autant que les intervenants la jugent inféodée à Erdogan. Ce dernier, qui a dernièrement renforcé ses pouvoirs, est un partisan de la croissance à tout prix et est un ennemi déclaré des taux d’intérêt. Ensuite, “en cas de crise de change, il faut alimenter l’économie en liquidités via un prêt ou un plan du FMI. En dépit du prêt de 15 milliards de dollars octroyé par le Qatar, la crise turque ne semble pas prête de se terminer”, selon Stéphane Déo.
Quels seront les prochains dominos à tomber ?
Après la Turquie, “l’Afrique du Sud et le Brésil pourraient bien être les prochains dominos à tomber, car même si ces pays sont plus solides que celui d’Erdogan, ils présentent certaines fragilités”, juge l’expert de La Banque Postale Asset Management. Même si le Brésil, qui a été en récession jusqu’en 2016, “a fait des efforts ces derniers temps, une poursuite de la défiance des investisseurs pourrait bien le faire replonger dans la crise. Le risque est d’autant plus élevé que l’issue des élections d’octobre est particulièrement incertaine. L’Indonésie et les Philippines sont aussi à surveiller de près, la balance des paiements de ces pays étant lourdement déficitaire”, souligne-t-il.
Evolution du dollar taïwanais, de la roupie indonésienne, du yuan, du dollar de Singapour et du peso philippin face au dollar depuis mars (cliquez sur l’image pour agrandir)
Enfin, si l’élection de Cyril Ramaphosa à la tête de l’Afrique du Sud avait suscité un élan d’optimisme en février dernier, l’euphorie est depuis retombée, à l’image de la devise du pays. “La croissance du pays reste poussive, alors que l’inflation est élevée. Et les déséquilibres du pays sont importants”, dénonce l’expert. En cas de choc sur les taux d’intérêt ou de problèmes de financement avérés, la situation de ces pays fragiles pourrait rapidement se dégrader, met-il en garde.
Evolution du real brésilien, de la livre turque, du rand sud-africain, du rouble et du peso mexicain face au dollar depuis mars (cliquez sur l’image pour agrandir)
La Russie est jugée mieux armée pour résister
Si le rouble a été lui aussi emporté par les turbulences turques, la Russie semble toutefois plus résistante en cas de nouvelles turbulences. “Nous ne percevons pas de risque majeur sur la Russie. Le pays est un important exportateur de pétrole, si bien que la balance des paiements affiche un important excédent. Tout le contraire de la Turquie, où elle est lourdement déficitaire, rendant ainsi le pays d’Erdogan très dépendant du financement extérieur. Par ailleurs, la Russie dispose de confortables réserves de change. Autant de munitions pour défendre le rouble au besoin”, souligne Stéphane Déo.
La patrie de Vladimir Poutine affiche en outre des taux d’intérêt relativement élevés, au regard des fondamentaux de l’économie russe, ce qui est de nature à protéger le rouble. Nous jugeons ainsi que les emprunts d’Etat russes (code ISIN RU000A0JTK38) constituent une opportunité d’achat, aux niveaux de cours actuels. Leur rendement annuel – 8,6%, à l’heure où nous écrivons ces lignes – est appréciable pour l’investisseur. Ils sont par exemple accessibles via un courtier en ligne tel que Saxo Banque. Quant aux actions russes, elles restent très bon marché. Elles se paient en effet 5,7 fois les bénéfices estimés pour les 12 prochains mois, pour un rendement moyen des dividendes de 7,5%, rapporte Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d’investissement chez la société de gestion genevoise Pictet Asset Management. Elles figurent parmi notre sélection de placements à privilégier pour le second semestre 2018. Les investisseurs souhaitant miser dessus pourront s’intéresser à des fonds, comme Pictet Russian Equities (code ISIN LU0338483075) ou encore des trackers, tels que Lyxor Russia ETF (code ISIN FR0010326140).
L’Europe devrait être peu affectée par la crise turque
Les investisseurs craignent que la crise de la monnaie turque déstabilise (…) l’économie mondiale. C’est toutefois peu probable, juge Pictet Asset Management, qui estime que la récession que la Turquie va probablement traverser ne devrait pas avoir de répercussions directes sur d’autres économies. La société de gestion genevoise ne nourrit pas d’inquiétude particulière pour l’économie de la zone euro. “En dépit de ses relations étroites avec l’Union européenne, d’une population forte de 80 millions d’habitants et d’une forte croissance depuis une décennie, l’héritière de l’Empire ottoman reste un acteur mineur sur la scène économique mondiale. Elle représente à peine 1% du PIB mondial et seulement 2,8% des exportations de la zone euro”.
Même l’exposition de certaines banques européennes à la Turquie est à relativiser. “Elles comptaient parmi les prêteurs enthousiastes, notamment les institutions espagnoles et italiennes. Bien évidemment, ce fait n’a pas échappé à la Banque centrale européenne, qui a commencé à surveiller l’exposition de la région à la Turquie. Toutefois, ces risques sont, là encore, gérables. Les banques espagnoles sont les plus exposées, mais leurs prêts à la Turquie représentent moins de 5% de leur encours total à l’étranger. Leurs homologues italiennes sont loin derrière en deuxième place et les emprunts turcs atteignent à peine 1,9% de leur exposition internationale”, souligne Pictet Asset Management.
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