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La Croix, le 18/12/2020
Analyse
Céline Pierre-Magnani (à Istanbul),
Alors que les sanctions internationales se multiplient à son encontre, le président turc Erdogan peut compter sur les investissements qatariens pour maintenir son pays à flot. L’opposition l’accuse de vendre les richesses du pays.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan, à gauche, est accueilli par l’émir du Qatar Sheikh Tamim bin Hamad Al Thani, après son arrivée à Doha, au Qatar, le mercredi 7 octobre 2020.AP
« Ils ont vendu la nuit aux Qatariens. » Dans un numéro récent, l’hebdomadaire satyrique turc Uykusuz relayait les inquiétudes d’une partie de l’opinion publique devant la troublante générosité qatarienne. Sur une caricature en pleine page, des hommes en tunique blanche (la thawb caractéristique des pays du Golfe) déambulaient sous l’œil envieux d’un Turc prisonnier du couvre-feu nocturne, les contemplant depuis sa fenêtre.
La Turquie et le Qatar ont signé le 10 décembre dernier des accords d’investissement de plusieurs millions de dollars venus s’ajouter à une liste déjà longue. Tous les secteurs sont concernés : bancaire (Finansbank), audiovisuel (Digiturk), alimentaire (Banvit), immobilier, automobile et militaire (BMC)…
« Tout est mis en vente »
Cette lune de miel entre Ankara et l’émirat de la péninsule arabique n’est pas du goût de l’opposition, qui dénonce la vente des richesses du pays et un manque de transparence dans les transactions. Le 26 novembre, 10 % des actions de la Bourse d’Istanbul ont été transférées au Qatar, provoquant un tollé.
Le leader du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu, s’est indigné le lendemain sur la chaîne d’information turque FoxTV. « Que signifie cet amour pour le Qatar ? La dette de 90 millions de dollars d’une entreprise qatarienne a été soudain effacée. Tout est mis en vente. Ne soyez pas étonnés si demain nous apprenons que la moitié du palais présidentiel a aussi été vendue au Qatar ! »
Alors que la crise s’aggrave en Turquie, que l’Europe et les États-Unis viennent d’annoncer des sanctions économiques, ces investissements qatariens apparaissent comme une aubaine pour Ankara. Le Qatar aurait consacré 15 milliards de dollars aux opérations de change pour soutenir la livre turque dont le cours ne cesse de s’effondrer.
Le Qatar, 2e investisseur en Turquie
L’ampleur de cet engouement suscite toutefois des interrogations, comme le souligne l’économiste Mustafa Sönmez. « Les Pays-Bas sont le premier investisseur en Turquie, et ils ont mis des décennies pour en arriver là , explique-t-il, tandis que le Qatar, désormais au 2e rang, s’est hissé à cette place en cinq ans seulement. »
Le contexte géopolitique régional a rapproché les deux pays depuis les printemps arabes. Ils partagent une vision et des intérêts communs au Moyen-Orient, notamment face au bloc rassemblé autour de l’Arabie saoudite. Le soutien apporté par Doha à Ankara contre Riyad, en 2017, et l’aménagement d’une base militaire turque ont scellé cette alliance.
« Les Qataris sont très fidèles à l’AKP, ils soutiendront le gouvernement, quelle que soit l’évolution politique dans le pays », assure Mustafa Sönmez, conscient que le parti du président Erdogan en « tire profit » en présentant « les investissements qatariens comme une traduction de son programme de réformes. Ils sont un joker dans le jeu du gouvernement ».
« La relation avec le Qatar est sans doute l’une des plus stables pour la Turquie », ajoute Galip Dalay, chercheur basé à Londres et spécialisé sur le Moyen-Orient. « Si les investissements ont augmenté ces dernières années, c’est que la situation économique de la Turquie s’est détériorée. Les deux phénomènes sont à mettre en parallèle. Quand les affaires se gâtent dans ses relations avec ses partenaires occidentaux, la Turquie cherche des alternatives et se tourne vers d’autres pays. » Aux yeux de ce spécialiste, la collaboration avec le Qatar peut « apporter une respiration », mais sans « compenser la perte d’autres investissements ».
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