Annoncée mercredi 31 août, la démission d’Efkan Ala, le ministre de l’intérieur de Turquie, n’a guère été commentée. Le premier ministre Binali Yildirim y a consacré une minute et demie lors d’une apparition à la télévision le soir-même.
Remerciant M. Ala pour « ses services », M. Yildirim ne s’est pas étendu sur les raisons du départ de ce poids lourd du gouvernement. Réputé proche du président Recep Tayyip Erdogan, Efkan Ala, 51 ans, a été remplacé par Süleyman Soylu, ministre du travail et de la sécurité sociale. En partance pour le sommet du G20 à Hangzhou (Chine) vendredi 2 septembre, M. Erdogan a été plus disert : « Cet homme est notre compagnon de route, mais il a manqué de performance. »
En fonction depuis décembre 2013 (avec une interruption de neuf mois en 2015), M. Ala n’avait plus les faveurs du « chef ». Bien avant les événements, des mauvaises langues le disaient « usé jusqu’à la corde ». Le fait d’avoir été injoignable la nuit du putsch raté du 15 juillet, dans un avion entre Erzurum et Ankara, n’a pas redoré son blason.
Avant tout,  l’homme a fait partie de l’équipe gouvernementale chargée des pourparlers avec les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, -interdit en Turquie-). Il était présent lors de l’annonce de l’accord esquissé avec les représentants kurdes, le 28 février 2015 au palais de Dolmabahçe, à Istanbul, et dénoncé depuis. Efkan Ala était alors entouré du vice-premier ministre, Yalçin Akdogan, et du ministre de la culture et du tourisme, Mahir Unal, lesquels ont perdu leur poste quelques mois plus tard, juste avant que la guerre ne reprenne de plus belle entre les rebelles kurdes et les -forces turques dans le sud-est du pays.
Même si M. Erdogan a regretté la piètre  » performance  » de son ministre de l’intérieur, la purge menée actuellement en Turquie contre les adeptes de la communauté religieuse de l’imam Fethullah Gülen, que les autorités désignent comme l’instigateur du putsch raté, ne manque pourtant pas de rythme.
Depuis le soulèvement manqué, 35 000 personnes ont été interpellées, parmi lesquelles 17 000 ont été mises en examen. Au total, 80 000 personnes, soupçonnées de liens avec les Fethullahci (adeptes de Fethullah Gülen), ont perdu leur emploi. Pour moitié, il s’agit de fonctionnaires de l’Etat, dont 28 163 travaillaient au ministère de l’éducation, selon un décret publié jeudi 1er septembre au journal officiel. Le ministère de l’intérieur a limogé 369 employés, les affaires étrangères 215, les finances 1 642. Les services du premier ministre se sont débarrassés de 302 fonctionnaires, la direction des affaires religieuses a démis 1 519 employés ; 24 gouverneurs ont été limogés.
Aucun secteur épargné
Rien ne semble pouvoir arrêter le rouleau compresseur. Après le putsch raté, le président Erdogan a promis d’éradiquer les entreprises, les associations caritatives, les écoles liées au réseau – des  » nids de terroristes « , a-t-il dit –et d’assécher leurs sources de financement, une initiative qui fait consensus au sein de la société turque, où le mouvement Gülen est désormais honni.
Comme les prisons sont pleines, le ministre de la justice, Bekir Bozdag, a déclaré récemment que 38 000 détenus de droit commun allaient être libérés à la faveur d’une réforme de la liberté conditionnelle. A terme, 93 000 détenus pourraient en bénéficier.
Aucun secteur d’activité n’est épargné. L’épuration a frappé de plein fouet certaines des PME familiales qui sont la colonne vertébrale de l’économie turque, tels les groupes Boydak (ameublement), Aydinli (confection), Eroglu Holding, Akfa Holding (construction), Gulluoglu Baklava (pâtisserie).
Pépinière du business musulman, la ville de Kayseri (Anatolie) vit au rythme des arrestations. Le 27 août, 36 personnes, dont des hommes d’affaires et des employés municipaux, ont été mises en examen pour leur appartenance à la communauté de Fethullah Gülen. Omer Dengiz, ancien cadre régional du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur, au pouvoir depuis 2002), est au nombre des inculpés.
Après avoir longtemps fonctionné main dans la main avec l’AKP, la confrérie est aujourd’hui traquée jusqu’au sein du parti. Le 5 août, le président Erdogan a demandé aux membres de sa formation politique de  » purger immédiatement ceux qui sont liés à la structure et ceux qui ont soutenu le coup d’Etat ignoble  » au cours duquel 270 personnes au total ont trouvé la mort (240 si l’on ne compte pas les insurgés).
♦