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Le Point avec AFP, le 20/07/2019
Après avoir perdu les mairies de villes-clés face à l’opposition cette année, le président turc Recep Tayyip Erdogan est confronté à un nouveau défi, posé cette fois par d’anciens alliés qui envisagent de créer des partis dissidents.
L’union sacrée autour de M. Erdogan au sein de son parti islamo-conservateur, l’AKP, semble en effet se fissurer, comme l’illustrent les sorties sans précédent de l’ex Premier ministre Ahmet Davutoglu et l’ancien ministre de l’Economie Ali Babacan. Tous deux ont critiqué ces dernières semaines l’orientation prise par la Turquie sous sa direction.
Ces prises de parole ont donné du crédit aux rumeurs qui ne cessent d’enfler sur les velléités de ces deux ex-lieutenants de M. Erdogan de créer leurs propres partis pour défier l’AKP, au pouvoir depuis 17 ans.
M. Babacan a dégainé le premier le 8 juillet.
Cette figure très respectée des milieux économiques, crédité des succès économiques de l’AKP pendant sa première décennie au pouvoir, a démissionné du parti, lui reprochant d’avoir sacrifié ses « valeurs » et évoquant le besoin d' »une vision neuve » pour le pays.
Avec une inflation à 15,7 %, une contraction de 2,6 % au premier trimestre 2019, un chômage à 13 % et une monnaie affaiblie, M. Babacan est vu par de nombreux Turcs comme l’homme capable de remédier aux problèmes du pays et d’incarner une alternative à M. Erdogan, dont le mandat actuel s’achève en 2023.
Dix jours plus tard, M. Davutoglu s’est départi de son habituelle discrétion pour accorder une interview de plus de trois heures diffusée sur les réseaux sociaux au cours de laquelle il a laissé entendre qu’il était lui aussi prêt à créer un nouveau parti.
« Déception »
M. Erdogan a minimisé la menace, mais des experts estiment qu’il ne restera pas les bras croisés face aux dissidences.
Il « va probablement combattre tout ce qu’il percevra comme une menace contre la domination qu’il personnifie », estime Lisel Hintz, de l’Université Johns Hopkins.
Elle cite à l’appui de son propos l’incarcération depuis 2016 du leader kurde Selahattin Demirtas qui s’était fermement opposé à M. Erdogan, ainsi que les procès en cours contre des figures de la société civile et des opposants à l’AKP.
Lorsqu’il a quitté son poste de Premier ministre en 2016 au bout de deux ans, M. Davutoglu avait juré de ne jamais critiquer M. Erdogan en public, mais son interview-fleuve a montré qu’il n’entendait plus passer sous silence ce qu’il considère comme des dysfonctionnements au sein du parti.
Personnalité clivante, M. Davutoglu est loin d’être assuré d’entraîner d’autres membres du parti dans son sillage s’il venait à claquer la porte, mais M. Babacan peut d’ores et déjà compter, selon la presse, sur l’appui d’un autre poids lourd de l’AKP, l’ancien président Abdullah Gül, pour créer une formation dissidente.
« Si l’on n’est pas déçu par eux, par qui le serait-on ? », a lâché M. Erdogan lors d’une interview, laissant transparaître son exaspération face aux projets prêtés à ses anciens compagnons de route.
Gérer l’économie
Pour Mme Hintz, le succès d’un éventuel parti créé par M. Babacan « dépendra probablement de sa capacité à présenter des plans concrets pour s’attaquer aux problèmes économiques et aux clivages sociaux ».
M. Babacan a « une chance de galvaniser le centre-droit turc, compte tenu notamment de la désillusion généralisée entourant l’enrichissement personnel des dirigeants de l’AKP alors que l’économie turque s’enfonce dans la crise ».
M. Erdogan et l’AKP ont gagné toutes les élections depuis 2002. Mais lors des dernières municipales, ils ont perdu Istanbul, coeur battant de l’économie turque, la capitale Ankara et d’autres grandes villes.
Malgré ces revers, le président turc dispose toujours d’une base fidèle, notamment en province, nuance Emre Erdogan de l’Université Bilgi d’Istanbul.
Le chercheur, qui n’a aucun lien de parenté avec le chef de l’Etat, estime cependant que l’émergence d’une personnalité transfuge de l’AKP comme nouveau rival pourrait avoir un effet « destructeur » pour M. Erdogan lors des prochaines élections prévues en 2023, le candidat à la présidentielle devant obtenir plus de 50 % des voix pour être élu.
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