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AFP – 26/11/2014
Un petit village perdu dans le sud-est de la Turquie, où les ruines se mêlent aux maisons neuves. Au bout d’une route, deux églises. L’une millénaire, l’autre moderne, témoins du passé chrétien de la région et de la volonté de ses habitants de le ressusciter.
Seyde Bozdemir est née et a été baptisée dans ce hameau d’Elbegendi –Kafro dans sa langue syriaque–, au sud de Midyat. Comme nombre de ses habitants, elle a un jour pris le chemin de l’exil, direction l’Allemagne. Aujourd’hui, elle est résolue à y revenir.
« Ici, c’est chez nous. C’est ici que l’on veut finir notre vie et être enterrés », dit Seyde, de confession chrétienne syriaque.
« Dans les années 1980, on a tout laissé et on a pris la fuite sans se retourner. C’était devenu très difficile, invivable même », poursuit-elle, « mais quand on rêve, on rêve encore d’ici. C’est pour ça qu’on veut rentrer chez nous ».des chré
Le « muhtar » (maire) d’Elbegendi a déjà accompli ce chemin. Après vingt-trois ans en Suisse, Aziz Demir a regagné la terre de son enfance. Il se souvient encore des années de plomb du conflit kurde, qui ont fait de sa bourgade un village fantôme.
« C’était la guerre entre les rebelles kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et l’armée. Le jour, l’armée était dans les rues, la nuit c’était le PKK », raconte Aziz Demir.
« Pendant cette période, 50 à 60 Chrétiens ont été assassinés dans la région. On voulait rester neutre, mais ce n’était pas possible. Alors on est parti », regrette-t-il. « Mais maintenant, on veut revenir. Pour protéger notre religion, notre culture ».
Comme lui, une poignée d’habitants ont fait ce retour aux sources. Ces dernières années, 17 imposantes maisons sont sorties de terre à Elbegendi pour accueillir les familles de ceux qui reviennent. Et d’autres sont prêts à les rejoindre, si les pourparlers de paix en cours entre Ankara et le PKK se concrétisent.
– Mort à petit feu –
Amorcé avec les échanges de populations à l’indépendance turque en 1923, le grand exil des chrétiens de Turquie s’est accéléré à la faveur des émeutes intercommunautaires des années 1950, de l’invasion de Chypre-Nord (1974) et des crises économiques. Massif, il a réduit leur communauté à la portion congrue.
Dans cette plaine de la Haute-Mésopotamie où ils ont fait leurs premiers pas hors de Jérusalem comme dans le reste du pays, ils ne sont plus que 80.000. Des orthodoxes surtout, Arméniens ou Syriaques, et une poignée de catholiques, chaldéens ou autres. Une goutte d’eau dans un océan de 75 millions de musulmans.
Adnan Saglamoglu est l’un de ces rescapés. De confession chaldéenne, ce bijoutier a fait le choix de rester à Mardin (sud-est) où, il l’avoue, il se sent parfois un peu seul.
« Nous ne sommes plus que quatre familles », confie-t-il.
S’il avoue sentir la tension monter « dès lors qu’il arrive quelque chose à un musulman », M. Saglamoglu ne se sent pas menacé et assure pouvoir vivre sa foi sans crainte.
Quatre ans après l’assassinat du chef de l’Eglise catholique en Turquie, il redoute bien plus la mort à petit feu de sa communauté. « Sans l’aide de ceux qui sont à l’étranger, nous aurions déjà disparu. Mais nous essayons de faire vivre notre culture », assure-t-il en ouvrant fièrement la porte de sa petite église de centre-ville.
Quelques pâtés de maisons plus loin, l’église syriaque dite des « quarante martyrs », construite aux IIIe et IVe siècles, affiche elle aussi, fière allure. Comme les dix autres encore debout à Mardin, elle a été entièrement et fraîchement remise à neuf, pour près d’un million de livres turques (350.000 euros).
– « Citoyens à part entière » –
« Nous survivons grâce à l’argent récolté dans notre communauté, nous ne recevons aucune aide de l’Etat turc, ni de fonds européens », explique son prêtre, Gabriel Aktas.
Plus que de son budget, il s’inquiète de l’état de son « troupeau ». « Comme nous n’avons plus assez de fidèles ni de prêtres, nous organisons chaque dimanche la messe dans une église différente », dit-il, « et puis nous proposons un enseignement religieux. Ce n’est pas officiel mais les autorités turques laissent faire ».
Le gouvernement islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002 en Turquie se pose volontiers en défenseur de « toutes les religions ». Mais les communautés chrétiennes du pays ne sont toujours pas considérées juridiquement comme des minorités.
Cette reconnaissance figure en tête des revendications des chrétiens de Turquie, eux aussi victimes des massacres qui ont visé les Arméniens sous l’Empire ottoman en 1915.
« Aujourd’hui, on ne peut toujours pas construire d’église en Turquie, c’est une honte », fulmine Ayhan Gürkan, qui donne des cours de catéchisme, non officiels, dans le secret d’une petite église syriaque de Midyat.
« Nous voulons pouvoir enseigner dans notre langue maternelle (…) que tous les biens, terres, églises, monastères qui nous ont été confisqués nous soient rendus », poursuit-il, « nous voulons être des citoyens à part entière ».
Dans ce combat, Aziz Demir attend l’aide du pape François, qui visite la Turquie à la fin de la semaine. « Nous ne voulons plus que l’Europe sacrifie les Chrétiens d’Orient », lance-t-il, « il faut qu’ils puissent enfin vivre sur leurs terres ».
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