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Textes : Louis Imbert
Photos : Laurence Geai pour “Le Monde”
Le Monde, 12/02/2015
Le 4 janvier, Hayat Boumeddiene est passée par Sanliurfa, dite “Urfa”, chef-lieu de région dans le ventre mou de la Turquie, à la frontière syrienne, au bord du Kurdistan. C’était cinq jours avant que son compagnon, Amedy Coulibaly, ne soit tué à Paris dans la prise d’otages sanglante du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Selon le quotidien turc progouvernemental Yeni Safak, la veille de cet attentat, le 8 janvier, elle traversait la frontière. A 50 km au sud d’Urfa, à travers des champs de blé, de coton et de pierraille, elle disparaissait dans le territoire tenu par les djihadistes de l’Etat islamique (EI).
Ce passage a été lent : il est possible de le faire en une journée. Etait-ce parce que la jeune femme, enceinte de quatre à cinq mois, selon une source proche de l’enquête française, savait que les autorités turques la recherchaient, sur signalement de la France ? Ou bien par manque de préparation, de lien avec les agents de l’EI qui guident les volontaires étrangers des faubourgs d’Urfa vers la terre du djihad ?
Depuis l’émergence de l’EI, en 2013, Sanliurfa (“Urfa la glorieuse”, littéralement), 800 000 habitants, est devenue un carrefour majeur sur la route de la guerre syrienne. Cette ville conservatrice, dévote (elle est réputée avoir vu naître Abraham et le prophète Job), peuplée majoritairement de Kurdes et d’Arabes sunnites, s’est muée au fil des progrès de l’EI en une base arrière du conflit. Elle est le lieu d’une guerre discrète, complexe, entre les autorités turques, les djihadistes et les miliciens du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, séparatiste interdit en Turquie), qui affrontent l’EI de l’autre côté de la frontière, dans les campagnes de Kobané.
Un exemple : en octobre, Abou Issa, commandant syrien de la Liwa Thuwar Al-Rakka, qui combattait à Kobané aux côtés des Kurdes, a été enlevé en plein centre-ville d’Urfa. Selon ses proches, l’attaque avait été menée par la mafia turque locale, avec l’aide de son chauffeur. A la ville frontière d’Akçakale, où Abou Issa devait être livré à des membres de l’Etat islamique contre 500 000 dollars, ravisseurs et commanditaires se sont affrontés. L’armée turque est intervenue. Abou Issa s’en est tiré avec une balle dans l’estomac.
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