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Le Point, le 08/08/2016
Erdogan se rend à Saint-Pétersbourg pour briser la glace avec son homologue russe, Vladimir Poutine. Après le putsch raté, la Turquie cherche des soutiens.
Recep Tayyip Erdogan s’est réjoui de la réaction de la Russie au putsch raté du 15 juillet : Vladimir Poutine a été l’un des premiers dirigeants étrangers à lui téléphoner pour condamner le coup de force et, sans surprise, n’a pas montré les états d’âme des leaders européens sur la répression qui s’est ensuivie. « La réaction russe contraste fortement avec celle des alliés occidentaux de la Turquie », dit Jeffrey Mankoff, du Center for Strategic and International Studies (CSIS) basé à Washington. Les relations entre la Turquie et la Russie, deux pays se disputant une influence dans les régions stratégiques de la mer Noire et du Moyen-Orient, n’ont jamais été faciles. Toutefois, avant la crise de la destruction de l’avion russe, les deux pays avaient réussi à « compartimenter » les querelles sur des dossiers, tels que la Syrie ou l’Ukraine, pour se concentrer sur la coopération stratégique comme le gazoduc TurkStream vers l’Europe, la construction d’une centrale nucléaire russe en Turquie ou l’objectif des 100 milliards de dollars (90 milliards d’euros) de commerce bilatéral.
L’alliance Poutine-Erdogan a été construite sur une amitié virile entre deux dirigeants combatifs, dans la soixantaine, et crédités d’avoir restauré l’honneur de leurs pays respectifs après des crises économiques, mais aussi d’avoir peu d’états d’âme sur les droits de l’homme. Erdogan ayant clairement exprimé son sentiment d’abandon par les États-Unis et l’Union européenne, une fenêtre s’ouvre du côté des relations turco-russes. « Même si [ces] relations connaissent leurs propres incertitudes, la détérioration des relations avec les puissances occidentales pourrait accélérer un rapprochement », dit un analyste du European Council on Foreign Relations. La Turquie est soucieuse de réparer les dégâts provoqués par les sanctions russes sur ses secteurs de l’agriculture, de la construction et du tourisme. D’après des chiffres fournis par le Kremlin, les échanges commerciaux ont chuté de 43 % à 6,1 milliards de dollars (5,5 milliards d’euros) de janvier à mai cette année. Le tourisme a été très affecté par la désertion des Russes, dont les arrivées se sont effondrées de 93 % en juin par rapport à juin 2015. Si le tourisme commence à repartir, le projet de gazoduc TurkStream, qui devait acheminer 31,5 milliards de mètres cube par an en Turquie via la mer Noire, et la centrale nucléaire de Akkuyu devraient redevenir d’actualité. Pour le conseiller de politique étrangère de Vladimir Poutine Youri Ouchkalov, le fait que Recep Tayyip Erdogan se rende en Russie si rapidement après le putsch raté montre l’importance attachée par Ankara à ces relations avec Moscou.
Mais après une crise aussi aiguë, il faudra du temps et des efforts avant que les relations des deux hommes forts ne redeviennent normales. Des analystes font valoir que Moscou est en position de force face à une Turquie qui importe toujours plus de la moitié de son gaz de Russie. La Russie, qui est l’allié le plus puissant du président Bachar el-Assad en Syrie, l’ennemi d’Erdogan, a modifié les rapports de force en intervenant militairement en septembre dernier, consternant la Turquie. « La seule personne que craigne Erdogan est Vladimir Poutine », dit Steven Cook du Council on Foreign Relations. Et pour Jeffrey Mankoff, les tensions entre la Turquie et l’Occident ont créé « une occasion en or de ramener Ankara vers la Russie ». « Ce que nous allons voir est une relation plus durable, mais de type plus pragmatique, non pas construite sur une relation personnelle ou idéologique, mais sur des intérêts pratiques communs », estime Alexander Baunov, du Centre Carnegie de Moscou.
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