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Les Echos – 26/08/2014
Le nouveau Premier ministre, Ahmet Davutoglu, devra faire des choix clairs en matière de politique étrangère, mais aussi répondre aux besoins de modernisation d’une partie de la société turque.
Depuis le déclenchement des printemps arabes, la Turquie fait figure de pôle de stabilité. Pourtant, l’élection de Recep Tayyip Erdogan à la présidence de la République puis la nomination d’Ahmet Davutoglu au poste de Premier ministre ont marqué une nouvelle étape dans la recherche d’une voie propre pour la Turquie qui est, plus que jamais, à la croisée des chemins.
Croisée des chemins entre croissance et renversement du cycle économique. En l’espace de dix ans, sous l’effet d’une vaste politique de libéralisation, le PIB a doublé, faisant de la Turquie, membre du G20, la première puissance économique régionale. Ces succès économiques sont dus à la prise du pouvoir par l’AKP qui a mélangé libéralisme économique et conservatisme social. Or, le miracle économique turc connaît un ralentissement alors que les capitaux étrangers sont moins nombreux et que la hausse des prix de l’immobilier fait penser à une bulle spéculative.
Croisée des chemins entre soutien aux printemps arabes et occidentalisation de sa politique étrangère. Depuis 2002, la politique étrangère turque est conduite par Ahmet Davutoglu, tour à tour conseiller diplomatique, ministre des Affaires étrangères puis, depuis le 20 août dernier, Premier ministre d’Erdogan. Musulman pieux, professeur de relations internationales, Ahmet Davutoglu avait consacré sa thèse à la profondeur stratégique de la Turquie qui visait à recouvrer un rôle premier dans les anciennes régions de l’empire ottoman. Cette politique néo-ottomane, qui a connu des succès jusqu’en 2010, puis une série de revers (mise à l’écart d’Ankara sur le nucléaire iranien, guerres civiles en Irak et en Syrie, relations rompues avec Israël, rapprochement avec les Frères musulmans), n’est pas remise en cause, au prix d’une prise de distance avec les Etats-Unis et l’Europe.
Croisée des chemins entre poursuite du processus européen ou alliance avec les BRICs. Depuis 2002, l’AKP a habilement joué du processus d’adhésion à l’Union européenne pour asseoir son pouvoir, en réduisant « l’Etat profond », c’est-à-dire le pouvoir kémaliste. La Turquie s’est égarée sur la voie européenne, alors que de nombreux pays européens, au premier rang Paris et Berlin, sont de plus en plus réticents à une adhésion. A l’heure actuelle, l’élite turque ne sait plus si son destin est européen… ou mondial, alors qu’Erdogan cherche à faire acte de candidature à l’Organisation de coopération de Shanghai aux côtés de Pékin et Moscou.
Croisée des chemins entre démocratisation et autoritarisme du régime. La modernisation de l’économie et de la société turques s’oppose frontalement à la dérive autocratique et au conservatisme religieux de l’AKP. Les émeutes d’Istanbul, au printemps 2013, soutenues par une classe moyenne urbaine mondialisée et occidentalisée, ont mis à mal le pouvoir de Recep Tayyip Erdogan. Politiquement, l’AKP repose sur une double alliance. La première est l’alliance, rompue en 2013, avec Fethullah Gülen et sa confrérie, qualifiée de « jésuites » turcs. La seconde est celle de la classe moyenne anatolienne, au détriment des élites occidentalisées d’Istanbul, qui constitue le socle électoral de l’AKP. Le pouvoir de l’AKP se raidit, s’éloigne de la jeunesse et de l’élite mondialisée.
Depuis sa quatrième élection, le 10 août dernier, Recep Tayyip Erdogan s’impose comme l’homme fort de la Turquie, notamment face au chaos du Moyen-Orient, où l’activisme de la Russie contraste avec le désengagement occidental. Désormais, il est urgent que l’Union européenne relance les négociations avec la Turquie, tout en discutant d’une finalité d’association autre que l’adhésion, que le président turc soit étroitement associé aux Européens sur les dossiers du Moyen-Orient et que l’arrimage d’Ankara au camp occidental soit clairement réaffirmé.
Sébastien Daziano est maître de conférences à Sciences po, ancien responsable de la Turquie au Quai d’Orsay, est coauteur de « Grandes Questions européennes » (Sedes).
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