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Le Point avec AFP, le 01/10/2020
Une nouvelle loi entre en vigueur ce jeudi en Turquie. Les réseaux sociaux devront obéir aux tribunaux et retirer certains contenus sous 48 heures.
Ils représentaient l’un des derniers espaces d’expression qui échappaient au contrôle du gouvernement d’Ankara. Une loi entre en vigueur jeudi 1er octobre en Turquie pour renforcer le contrôle du gouvernement sur les réseaux sociaux. Il y a un mois, le président Recep Tayyip Erdogan avait appelé à « mettre de l’ordre » dans les réseaux sociaux.
« La loi suscite de nombreuses inquiétudes concernant les droits humains », a commenté sur Twitter Iain Levine, responsable de département des droits humains de Facebook. Malgré leurs inquiétudes, les défenseurs des droits doutent que le gouvernement Erdogan puisse appliquer les mesures strictes prévues par la loi. « Il est impossible dans un pays comme la Turquie de supprimer les réseaux sociaux qui font tellement partie de la vie des gens », estime Emma Sinclair-Webb, directrice de Human Rights Watch en Turquie.
Selon la nouvelle législation, les réseaux sociaux, avec plus d’un million de connexions uniques par jour, comme Twitter et Facebook, devront avoir un représentant en Turquie et obéir aux tribunaux demandant le retrait de certains contenus sous 48 heures. En cas de non-respect de ces obligations, une forte réduction de leur bande passante et des amendes pouvant aller jusqu’à 40 millions de livres turques (4,3 millions d’euros) sont prévues. Ces géants du numérique sont en outre appelés à stocker en Turquie les données de leurs utilisateurs se trouvant dans ce pays, mais aucune mesure contraignante en ce sens n’a été adoptée lors du vote de la loi.
L’aversion d’Erdogan pour les réseaux sociaux
Même si son compte Twitter @RTErdogan possède 16,7 millions d’abonnés, le président turc ne cache pas son aversion pour les réseaux sociaux, qu’il avait menacé de supprimer en 2014. La même année, Ankara avait bloqué l’accès à Twitter et à YouTube après la diffusion d’enregistrements d’écoutes téléphoniques mettant le président turc en cause dans un supposé scandale de corruption. « L’objectif de la loi est de menacer les réseaux sociaux en leur imposant l’obéissance ou la mort », estime Emma Sinclair-Webb.
Selon le dernier « rapport sur la transparence » de Twitter, la Turquie figurait au premier semestre 2019 en tête des pays demandant le retrait de contenus sur le réseau social, avec plus de 6 000 requêtes. Twitter n’a pas répondu aux questions de l’Agence France-Presse sur la suite qu’il entend donner à la nouvelle loi turque.
La Turquie a bloqué l’accès à 408 000 sites, 40 000 tweets, 10 000 vidéos YouTube et 6 200 partages sur Facebook en 2019, selon Sevket Uyanik, défenseur des droits en ligne. « Imaginez ce qui pourrait arriver après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi », s’alarme-t-il. Le chef de l’État turc avait déjà qualifié Twitter de « menace », estimant que le réseau social avait facilité la mobilisation pour les manifestations antigouvernementales de 2013.
L’accès à une information critique
De nombreux Turcs, en particulier des jeunes, comptent sur les réseaux sociaux pour avoir accès à des informations indépendantes ou critiques, dans un paysage dominé par les médias progouvernementaux. « On ne voit pas beaucoup d’infos sur la violence contre les femmes à la télévision », estime Ayse Nur Akyuz, modèle et « influenceuse », avec 47 000 abonnés sur Instagram. « Mais les infos sur les féminicides se répandent en cinq minutes sur les réseaux sociaux. » « Les restrictions récentes visent à museler la contestation et à bloquer le flux d’informations », affirme Emma Sinclair-Webb.
Twitter et Facebook sont déjà étroitement surveillés par le gouvernement et de nombreux procès pour « insulte au chef de l’État » ou « propagande terroriste » ont été intentés sur la base de simples tweets. Début juillet, le président turc avait appelé à « mettre de l’ordre » dans les réseaux sociaux après que sa fille et son gendre ont été visés par des injures sur Twitter. « Vous voyez pourquoi nous sommes contre les réseaux sociaux comme YouTube, Twitter et Netflix ? Pour supprimer ces immoralités. Ils n’ont pas de valeurs morales », avait-il affirmé.
Mais les partisans du gouvernement se servent aussi massivement des réseaux sociaux, d’autant que les rassemblements sont interdits dans le cadre des restrictions liées au Covid-19, souligne Mme Sinclair-Webb. « Fermer les réseaux sociaux ne sera pas une décision populaire, affirme-t-elle. Si le gouvernement applique vraiment cette loi, il se tire une balle dans le pied. »
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