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Nare Hakikat
Le Figaro – 12/09/2014
Ankara s'apprête à autoriser les avions militaires américains à utiliser la base d'Incirlik, dans un but humanitaire et logistique uniquement. Mais reste réticente à l'idée de participer à une opération militaire aérienne ou terrestre.
«La based'Incirlik s'ouvre au soutien logistique et humanitaire contre l'État islamique», titrait mercredi le journal turc Radikal. Ankara s'apprête en effet à autoriser les avions militaires américains, uniquement dans un but humanitaire et logistique, à utiliser la base d'Incirlik, située au sud du pays. Un geste attendu alors que le président Barack Obama vient d'annoncer sa stratégie pour détruire l'État islamique.
Invitée à rejoindre la coalition qui sera formée dans ce but, la Turquie reste réticente à l'idée de participer à une opération militaire aérienne ou terrestre. Selon le journal Yeni Safak, proche du gouvernement, un «sommet de sécurité» réuni mercredi par le premier ministre Davutoglu aurait entériné la décision concernant la base d'Incirlik. Ankara se sent en effet obligé de prouver un changement d'attitude face aux accusations d'avoir favorisé dans le passé l'essor de l'État islamique.
De nombreux articles dans les médias turcs parlent du contrôle accru des frontières avec la Syrie et l'Irak ainsi que de l'expulsion des étrangers considérés comme susceptibles de participer aux groupes djihadistes. Pourtant, il y a quelques semaines encore, un camp d'entraînement, présenté comme appartenant à l'État islamique, fonctionnait à Gaziantep, au sud de la Turquie, selon un reportage diffusé sur la chaîne publique allemande ARD.
Des otages à défendre
«Le contrôle des frontières a été renforcé depuis le mois d'avril dernier. Mais la Turquie s'est enfoncée dans un tel marais qu'il n'est pas possible d'en sortir avec de simples mesures», affirme le journaliste Fehim Tastekin, spécialiste de la région. «Depuis trois ans, même des militants recherchés par Interpol sont passés par les frontières turques. Lorsque vous établissez des relations aussi anormales avec une telle organisation, vous devenez son otage. Si la Turquie fait aujourd'hui marche arrière, la menace de l'État islamique peut se tourner contre elle.»
Ankara affirme notamment craindre pour la vie de ses 49 citoyens capturés au consulat turc de Mossoul et retenus en otages par l'État islamique. Mais ce qui lie les mains d'Ankara ne semble pas seulement ces otages. Les militants djihadistes qui ont utilisé la Turquie comme leur base arrière depuis trois ans auraient pu développer des cellules qui menaceraient d'attentats les villes turques. Mais surtout une politique sectaire, hostile aux Kurdes et favorable au sunnisme, qu'Ankara ne semble pas encore avoir abandonnée, empêche le pays de prendre une position nette contre l'État islamique.
Passages clandestins
«La Turquie soutient le Front islamique (réunion de plusieurs mouvements rebelles syriens, NDLR) lancé comme étant plus modéré que l'État islamique. Or le Front islamique agit avec al-Nosra qui, à son tour, coopère avec l'État islamique sur le front du Liban. La Turquie est gênée par l'implication croissante des Kurdes syriens du YPG dans leur lutte contre l'État islamique. Elle refuse aussi que les chiites soient renforcés. Mais qui pourra alors lutter contre l'État islamique? Les conditions posées par la Turquie sont coupées de la réalité», estime Fehim Tastekin.
Sur le terrain, Mehmet Ali Ediboglu, député CHP (opposition kémaliste) d'Antakya, ville à la frontière syrienne, observe peu de changement. «Les militants continuent à passer en Syrie par la frontière turque. Simplement, ils tentent maintenant de le faire de manière un peu plus cachée», affirme-t-il. «Nous avons vu des camions que l'on soupçonne de transporter de l'aide aux djihadistes passer de manière clandestine la nuit en Syrie par le village frontalier de Bükülmez. Les autorités ont interdit l'entrée des journalistes dans ce village. Le soi-disant renforcement des frontières n'est que de la poudre aux yeux. Les personnes que les autorités déclarent avoir arrêtées sont immédiatement relâchées.» Les villes turques comme Urfa, proche de Raqqa, en Syrie, continueraient ainsi à être le lieu de passage des militants de l'État islamique.
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