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Le Monde, le 22/07/2016
Par Jean-François Bayart,
professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève
Il faut accorder permis de séjour et postes aux enseignants et chercheurs victimes de la répression du régime, qui les prive de travail
Une chape de plomb s’abat sur la Turquie, en guise de réponse à la tentative de coup d’Etat du vendredi 15 juillet. Il est de notoriété publique que Recep Tayyip Erdogan rêve de se tailler une Constitution présidentialiste à la taille de son appétit de pouvoir, et d’être toujours à la tête de l’Etat en 2023 pour commémorer le centième anniversaire de la fondation de la République turque. Pour ce faire, les événements lui ouvrent une formidable fenêtre d’opportunité.
Et le président de la République a bien compris la leçon de son lointain prédécesseur. Mustafa Kemal avait instrumentalisé la révolte kurde et islamique de Cheikh Saïd, en 1925, pour instaurer un état d’exception et traîner devant les tribunaux tous ceux qui résistaient ou échappaient à son autorité. A commencer par les Jeunes-Turcs du Comité union et progrès (CUP), qui avaient préparé la guerre de -libération dès 1916, avant qu’il ne la préempte pour son propre compte.
De la même manière, Recep Tayyip Erdogan, qui impute à la néoconfrérie des fethullahci, avec laquelle il est en conflit depuis 2010, la responsabilité du coup de force du 15 juillet, ratisse large. Qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la rage… C’est ainsi que les arrestations parmi l’armée, la police, la magistrature se comptent par milliers, sous -prétexte de défense de la  » démocratie « .
Là où la démesure de l’homme fort de la Turquie pointe son nez, c’est quand il s’en prend à l’enseignement supérieur et à l’éducation nationale. -Certes, l’imam Fethullah Gülen, 75 ans, qui dirige la confrérie, a bâti sa stratégie d’influence – assez comparable à celle de l’Opus Dei – en créant de nombreux établissements scolaires et universitaires. Mais, en janvier, Recep Tayyip Erdogan avait déjà fait l’amalgame entre les  » terroristes  » du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et les signataires d’une pétition en faveur de la reprise du processus de paix dans le sud-est du pays. Qui veut noyer son chien, etc. Les universitaires étaient particulièrement visés, et des mesures administratives ou financières, des non-renouvellements de contrat, des licenciements, des instructions judiciaires furent décidés à l’encontre de centaines d’entre eux, à la demande explicite du chef de l’Etat, et au mépris de l’autonomie des universités autant que des libertés publiques.
LES PRECEDENTS DE GAULLE ET POMPIDOU
Désormais, la mise au pas des universitaires passe par l’allégation de leur connivence supposée avec l' » Etat parallèle  » – la néoconfrérie Hizmet ( » service « ) de Fethullah Gülen, dans la novlangue du parti au pouvoir. Le 19 juillet, recteurs et doyens ont été invités à démissionner. Les enseignants se sont vu ordonner de ne pas partir en congé et de ne pas quitter le territoire. Ceux d’entre eux qui sont à l’étranger, y compris dans le cadre de coopérations internationales, sont rappelés en Turquie. Ces mesures ubuesques, qui discréditeront durablement le pays, ou plutôt son régime, sur la scène académique internationale, donnent une idée de la purge à laquelle va être soumis le système universitaire turc dans les prochaines semaines.
Jamais, depuis le coup d’Etat militaire de 1980, ce dernier n’a connu pareille tourmente. Les universités européennes vont examiner les contre-mesures appropriées, de nature à répondre au gouvernement turc sans pénaliser leurs collègues. Mais les gouvernements de l’UE, à commencer par le gouvernement français, doivent lancer un plan d’urgence pour accueillir les universitaires turcs persécutés et leur offrir l’asile scientifique.
Le général de Gaulle l’avait fait après le coup d’Etat des colonels en Grèce, Georges Pompidou après celui de Pinochet au Chili. François Hollande doit le faire après le coup de force civil de Recep Tayyip Erdogan. Il s’agit, dans les meilleurs délais, de délivrer des titres de séjour, de créer des postes temporaires et de financer des programmes de recherche au bénéfice du nombre, sans nul doute important, d’universitaires turcs qui devront prendre le chemin de l’exil. Il s’agit aussi de faciliter l’accès à nos établissements des étudiants turcs, désormais privés d’universités dignes de ce nom.
A l’échelle de l’Union européenne, le défi financier n’est pas considérable. Dans le contexte dramatique que nous vivons, cette hospitalité s’impose à l’égard d’enseignants-chercheurs qui, pour la plupart, ont fait leurs études dans nos facultés, écrivent dans nos langues, partagent nos valeurs et notre pensée, et à l’égard de leurs étudiants qui y aspirent.
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