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Le Temps, le 09/07/2017
Camille Guillot, Istanbul
Des centaines de milliers de personnes ont répondu présent, ce dimanche 9 juillet à Istanbul, afin de clôturer la marche commencée il y a 25 jours par Kemal Kiliçdaroglu, le leader du parti d’opposition CHP.  © Osman Orsal / Reuters
Un immense rassemblement à Istanbul a ponctué une marche initiée par l’opposition turque, qui dénonce les arrestations massives et arbitraires dans le pays depuis la tentative de coup d’Etat
C’est modestement vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon noir, une pancarte sur laquelle est écrit le mot «justice» en lettres rouges dans les mains, que Kemal Kiliçdaroglu, le leader du parti d’opposition CHP, le Parti républicain du peuple, s’est présenté à la foule venue l’acclamer, sans doute des centaines de milliers de personnes. «Nous avons marché parce que nous nous opposons au régime d’un seul homme», a déclaré du haut de la scène celui que l’on surnomme aussi «Gandhi Kemal» pour sa ressemblance physique avec le guide spirituel indien.
Cette marche n’est d’ailleurs pas sans rappeler la «marche du sel» organisée par ce dernier en 1930 contre l’empire colonial britannique. «Nous avons marché parce que le pouvoir judiciaire est sous le monopole de l’exécutif», a-t-il poursuivi. Dimanche, l’unique slogan «droits, loi et justice», entonné tout au long de la marche, a résonné dans toutes les rues d’Istanbul.
L’emprisonnement de trop
Il y a 25 jours, Kemal Kiliçdaroglu pensait marcher seul. Or, dès les premiers kilomètres, des milliers de Turcs lui ont emboîté le pas. «Depuis l’instauration de l’état d’urgence, le gouvernement a arrêté des journalistes, licencié des académiciens, censuré la presse, réduit au silence des syndicats, des ONG et des universités. L’emprisonnement et la condamnation à 25 ans de prison de notre député Enis Berberoglu est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase», explique Kemal Kiliçdaroglu. Dans le cortège, les t-shirts à l’effigie d’Atatürk, le père fondateur de la Turquie, et les drapeaux turcs ont remplacé les sigles politiques.
«Nous sommes les enfants d’Atatürk», s’exclame fièrement Zeynep. Cette quinquagénaire est accompagnée d’un groupe d’amies. Elles ont marché une cinquantaine de kilomètres, les derniers jusqu’à Istanbul. «Quand le convoi d’Erdogan passe dans la rue, tout est bloqué pendant des heures. La vie s’arrête. On parle de la République de Turquie, celle fondée par Mustafa Kemal Atatürk. Celui-ci s’est dévoué pour la nation. Pourquoi devrions-nous juste attendre sans rien faire pendant qu’ils [le gouvernement] détruisent notre magnifique pays.»
Un parti historique
Si les responsables du parti veulent croire qu’il s’agit d’un acte citoyen et non politique, nombreux sont les marcheurs qui, à l’instar de Zeynep, se réclament du kémalisme. Fondé par Mustafa Kemal Atatürk, première formation d’opposition du pays, le Parti républicain du peuple est étatiste, proche de l’armée et profondément laïc. Autant de caractéristiques qui le placent aux antipodes de la vision du président Erdogan. Si ses dirigeants actuels ont condamné la tentative de coup d’Etat de l’été dernier, c’est bien le CHP qui avait soutenu, presque dix ans plus tôt, la tentative de coup d’Etat de l’armée contre le gouvernement de l’AKP.
Ce parti d’opposition historique a néanmoins perdu ses lettres de noblesse au fur et à mesure que le président Erdogan étendait ses pouvoirs. Kemal Kiliçdaroglu, âgé de 69 ans, est à la tête du parti depuis sept ans. Il a souvent été critiqué, à l’intérieur même de sa formation, pour son inaction et son incapacité à hisser le CHP en alternative, tout du moins en véritable opposition, au gouvernement en place. Cette marche est arrivée comme une surprise pour une partie de l’opposition.
Réunir l’opposition
Cet engouement n’est pas du goût du président Erdogan. Il y a une semaine, il accusait le chef de l’opposition de se ranger «du côté des terroristes». Il se faisait menaçant: «Ne soyez pas surpris si vous êtes vous-mêmes convoqué en justice.» Les 450 kilomètres se sont malgré tout déroulés sans entraves, encadrés, jusqu’à Istanbul, par des milliers de policiers et militaires, 15 000 pour la seule journée de dimanche.
Si des milliers d’opposants ont répondu présent, l’absence notable tout au long de la marche du deuxième parti d’opposition pro-kurde, le HDP, le Parti démocratique des peuples, dont les coprésidents sont en prison depuis huit mois, est le signe que le chemin est encore long. Mais le leader prévient: «Ce n’est pas la fin, le 9 juillet est une naissance. Nous allons continuer notre combat.»
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