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Maze.fr, le 18/07/2015
Par Manon Vercouter (*)
Ce dimanche 7 juin 2015 se sont tenues les élections législatives turques. Elles avaient pour but d’élire les cinq cent cinquante députés de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Malgré son arrivée en tête avec 41%, le parti du président turc Erdogan, l’AKP, essuie une défaite majeure : une victoire pour la démocratie.
Fonctionnement
Les députés turcs sont élus pour un mandat de quatre ans au scrutin proportionnel (méthode d’Hondt) dans chacune des 85 circonscriptions. Une fois les résultats sortis, l’Assemblée dispose de 45 jours pour constituer un nouveau gouvernement. À l’issue de ces 45 jours, le président de la République peut choisir de dissoudre l’assemblée afin d’organiser de nouvelles élections.
Contexte
Ce scrutin était d’une importance cruciale pour le parti au pouvoir, l’AKP, le parti de la Justice et du Développement. Le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, souhaite en effet mener une réforme constitutionnelle dans le but de présidentialiser le régime de façon officielle. Bien qu’il se soit déjà arrogé en pratique plus de pouvoirs et de libertés que ne le permet la constitution du régime parlementaire en théorie, il a besoin des trois cinquièmes des sièges au Parlement pour pouvoir mener à bien cette réforme.
Initialement élu pour son programme économique dynamique et son aspect novateur, le parti d’Erdoğan semble aujourd’hui souffrir du contexte économique en berne dans le pays. La croissance ne cesse de baisser, le chômage progresse, de même que l’endettement. Une situation loin d’être enviable en période électorale.
Résultats
Source : lesclesdumoyenorient.com (c)
Le parti islamo-conservateur est arrivé en tête, avec 41% des voix, soit 258 sièges sur 550. En seconde position, le parti social-démocrate du CHP a réalisé un score de 35%, obtenant ainsi 132 sièges. Le parti nationaliste MHP a quant à lui obtenu 16.5% des voix (80 sièges). Mais bien que le Premier ministre turc, Ahmet Davutoğlu, ait déclaré : « Nous sommes le premier parti, nous sommes les vainqueurs de cette élection et nous allons poursuivre notre route sacrée », c’est surtout le parti kurde HDP qui semble avoir gagné ces élections, ayant réalisé un score sans précédent de 12.6% des voix, soit 80 sièges.
Une victoire pour la démocratie, et une victoire kurde
Peu après la parution des résultats, le chef du HDP, Selahattin Demirtas, a déclaré : « Nous avons remporté une grande victoire. (…) Ceux qui veulent la liberté, la démocratie et la paix ont gagné, ceux qui veulent l’autoritarisme, qui sont arrogants et qui se considèrent comme les seuls détenteurs de la Turquie ont perdu. » Une critique claire tournée vers le AKP qui a vu sa ligne politique se durcir depuis sa première élection, faisant écho à l’éditorial du New-York Times intitulé « La démocratie gagne en Turquie ».
Selahattin Demirtas a mené une campagne moderne, c’est sans doute ce qui lui a permis de réaliser un score aussi élevé. A 42 ans, cet avocat charismatique et ambitieux a décidé de marquer sa ligne politique très à gauche, et « anti-Erdogan ». S’affichant ainsi plus progressiste, il a pu élargir son électorat au delà de la seule communauté kurde (20% de la population turque), intégrant les plus marginaux, ou des minorités, comme les homosexuels, etc.
La défaite du sultanat autoritaire
Après 13 ans au pouvoir, l’AKP apparaît comme le grand perdant de cette élection malgré ses 41% des voix en raison de la perte de sa majorité, de scandales et d’affaires de corruption à répétition qui le touchent.
Il semble en effet qu’Erdogan a accumulé les erreurs depuis l’arrivée de son parti au pouvoir. Négligeant la neutralité qu’impose sa fonction présidentielle, il est apparu comme assoiffé de pouvoir en tentant de polariser la société turque par le biais de discours invoquant la religion (contre les laïcs) ou encore le nationalisme (contre les Turcs), bien loin de ses premières déclarations, il y a de ça une dizaine d’années, qui prônaient l’égalité, la tolérance et le pluralisme. Sa dérive autoritaire est telle qu’il a acquis auprès de certains le surnom de « Sultan » suite à l’acquisition d’un palais de plus de mille pièces à Ankara après son élection à la présidence en août 2014 comme l’explique la correspondante du Monde à Istanbul, Marie Jégo dans son article.
Erdogan a également imposé un degré de censure inquiétant dans le pays, faisant emprisonner journalistes et bloggeurs, ou bloquant vidéos YouTube et tweets dérangeants pour lui. Un régime de peur et d’intolérance ou la liberté d’expression se voit de plus en plus limitée jour après jour.
Il ne faut cependant pas oublier que le parti d’Erdogan reste le plus puissant à ce jour malgré le score des trois autres forces politiques souvent qualifiées de partis plus « régionaux » (le CHP sur la partie ouest et nord-ouest, le HDP dans le sud-est et le MHP majoritaire dans une seule province sur 81).
Et maintenant ?
La constitution d’une coalition s’avère très difficile pour l’AKP. En effet, les trois autres forces politiques, le CHP, le MDP et le HDP ont tout trois publiquement refusé toute alliance avec l’AKP puisqu’une partie de leur campagne respective s’est fondée sur la dérive autoritaire du parti pour la Justice et le Développement.
Mise à part une coalition, certains ont évoqué la possibilité d’une alliance de l’opposition, comme le dirigeant du CHP, voire d’un « gouvernement de restauration » intégrant les trois partis d’opposition comme l’a expliqué Sezgin Tanrikulu, un des vice-présidents du CHP. Cependant, cette possibilité reste très incertaine du fait des problèmes de coopération entre les différents partis que cela risque de poser. En effet, le MHP par exemple veut arrêter les négociations de paix avec les insurgents armés du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) tandis que le HDP, parti pro-kurde, veut les relancer.
http://maze.fr/actualite/07/2015/la-defaite-du-sultan-erdogan-en-turquie/
(*) Etudiante en troisième année à Science PO Bordeaux en filière internationale britannique, je partage mon temps entre Bordeaux, Cardiff et Lille de façon épisodique. Je suis actuellement en rédaction d’un mémoire de recherche sur les thèmes de la sécurité, la géopolitique de l’Union Européenne et les relations internationales. Passionnée de musique, cinéma, photo, littérature entre autres, mais surtout de voyages, je fais maintenant partie de l’équipe de MAZE Magazine depuis plus d’un an en tant que rédactrice, et depuis quelques mois en tant que Secrétaire de rédaction.
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