Entre deux selfies sur les marchés de Noël, Norbert Hofer veut rassurer les Autrichiens : jamais, avec lui, la Turquie n’entrera dans l’Union européenne. Le sujet a presque remplacé celui des migrants dans la bouche du candidat d’extrême droite à la présidentielle du 4 décembre. Et les échanges avec la population tournent désormais beaucoup autour des facilités de visa qu’Angela Merkel a promises aux citoyens de ce grand pays musulman voisin, en échange du maintien des Syriens sur son sol.
Le marché controversé, décidé en solitaire par la chancelière allemande en mars, est une aubaine pour le quadragénaire. Il le dénonce à chaque fois qu’un intellectuel, un député ou un journaliste est arrêté par le régime islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan. Son parti, le FPÖ, est bien placé pour décrocher la fonction suprême à Vienne. Il réclame la fin des négociations avec Ankara et exige la tenue d’un référendum, si ces dernières devaient déboucher sur une adhésion.
« Le FPÖ a toujours parlé de l’adhésion de la Turquie, mais le sujet trouve un écho plus important depuis la tentative de putsch de juillet », explique le politologue Marcelo Jenny. Les manifestations de soutien au parti AKP – au pouvoir à Ankara – organisées dans les rues de Vienne ont été très mal perçues par l’opinion publique.
Avec 115 000 ressortissants et 260 000 naturalisés en Autriche, les immigrés d’origine turque constituent, après les Allemands, la deuxième communauté de ce petit pays d’Europe centrale ne comptant que 8,7 millions d’habitants. Ils représentent la grande majorité des musulmans et ont voté à 70 % pour les islamo-conservateurs aux législatives de novembre 2015 (44 % de participation seulement toutefois). Leur taux élevé de fidélité au président Erdogan est une singularité dans le monde germanique, qui accueille plus de la moitié de la diaspora turque à l’étranger. En Allemagne, M. Erdogan recueille moins de 60 % d’adhésion ; en Suisse, le parti pro-kurde HDP est même majoritaire.
 » Capitale du racisme «Â
Ce paysage incite l’ensemble des partis représentés au Parlement à ne pas laisser l’extrême droite réclamer seule la rupture des discussions avec Ankara en raison du recul des droits de l’homme. Les Verts dénoncent la surveillance organisée sur le territoire autrichien des dissidents politiques turcs par des associations pilotées depuis l’ambassade. Le chancelier social-démocrate Christian Kern a été le premier en Europe, début août, à réclamer la suspension des négociations en raison de l’ampleur des purges décrétées par M. Erdogan après le coup d’Etat raté.  » Aujourd’hui, l’Autriche est la capitale du racisme radical « , avait réagi le chef de la diplomatie turque, Mevlut Cavusoglu.
Le consensus politique au Parlement sur la question turque est total, ce qui autorise le chrétien-démocrate Sebastian Kurz à être l’unique ministre européen des affaires étrangères prônant ouvertement l’arrêt des négociations. Il assume cette exposition diplomatique, inhabituellement belliqueuse pour un petit pays neutre, ami de nombreuses dictatures, face à une puissance moyenne, membre de l’OTAN.  » Mes homologues sont de plus en plus nombreux à estimer que nous n’avons pas tort, assure-t-il. Nous avons établi des standards clairs de discussion et je ne vois pas pourquoi nous devrions faire une exception pour la Turquie.  » Il en irait de la crédibilité des Vingt-Huit par rapport aux pays tiers, qui commenceraient à dénoncer des exigences variables selon la valeur stratégique des pays partenaires.
Le ministre autrichien social-démocrate de la défense, Hans-Peter Doskozil, affirme depuis des mois que l’accord migratoire conclu en mars avec la Turquie pour réduire les arrivées de réfugiés via la Grèce ne tiendra pas. Avec les pays des Balkans et de l’Est, il renforce les contrôles aux frontières. Cette autonomisation régionale place Bruxelles et Athènes devant le fait accompli et force l’Allemagne à multiplier les initiatives avec les pays d’origine des demandeurs d’asile et les pays de transit.  » Mais Berlin ne nous met pas la pression, puisque nous disons tout haut ce que les opinions publiques pensent partout en Europe, affirme un diplomate. Un nombre croissant de pays est critique envers la Turquie, comme la Bulgarie, la Belgique ou les Pays-Bas.  »
Ankara a rappelé son ambassadeur à Vienne à la fin du mois d’août, prétextant d’une couverture médiatique lui étant systématiquement hostile dans le pays. Elle ne l’a toujours pas renvoyé en fonction, signe qu’elle prend très au sérieux la surprenante fermeté autrichienne, renforcée par la perspective de voir l’extrême droite remporter la présidentielle.
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