Quand le consultant et éditorialiste britannique Peter York a sorti son livre Dictator’s Homes, en 2005, il en était persuadé: les extravagances architecturales des dictateurs d’antan, les Bokassa, Ceausescu, Marcos ou Saddam Hussein, étaient de l’histoire ancienne. Erreur.
Pour chaque nouveau despote déchu, c’est toujours le même cérémonial: des rebelles s’introduisent dans des bâtiments jusqu’alors sacrés et fermés au public. Et c’est toujours la même stupéfaction devant le faste des lieux : luxe dégoulinant, mobilier doré, lits à baldaquin et lourds rideaux baroques habitent ces espaces d’un gigantisme absurde. Et les 200 000 mètres carrés en style néo-seldjoukide (première dynastie turque) du palais présidentiel que s’est fait construire Recep Tayyip Erdogan ont été perçus en 2014 comme un témoignage inquiétant de sa dérive autoritaire.
En 2011, la chute de Mouammar Khadafi a dévoilé un jet privé à l’intérieur gris métallisé rutilant ou une méridienne dorée en forme de sirène à l’effigie de sa fille Aïcha. Même genre de découvertes, la même année, chez l’ancien président tunisien Ben Ali et sa collection de 39 voitures de luxe aux volants en moumoute. Ou en Ukraine, dans la résidence Mejiguiria de l’ancien autocrate Viktor Ianoukovitch, démis en 2014. Ici, le luxe est si tapageur qu’on se croirait dans un parc d’attractions: le jardin abrite un parc zoologique et la rivière un navire façon grand galion. Les despotes d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, vivent dans une opulence ostentatoire, marque manifeste de leur toute-puissance. Ce style indémodable des tyrans répond même à un code que Peter York s’est amusé à établir.
D’abord, surdimensionner les bâtiments, les pièces, les volumes. Ne pas lésiner sur les reproductions. Chez le despote, le pastiche n’est pas vulgaire. Penser « français » aussi. Le XVIIIe siècle, en particulier, et son mobilier aux ornementations dorées, fait fureur. Enfin, privilégier l’or, encore l’or et toujours l’or. Puis le marbre, et tout matériau qui brille. Cela jusque dans le moindre détail, comme un pied de toilettes doré en forme de feuille de vigne.
Pudeur au placard
Le décorateur Jacques Grange, au label « bon goût français » mondialement reconnu, a coutume de définir le mauvais goût comme celui qui est « mal assumé ». Il est pourtant un chef d’Etat qui ne semble pas touché par une telle pudeur: Donald Trump. S’il faut reconnaître qu’il n’est pas encore catalogué officiellement comme dictateur, il en possède tous les attributs côté décoration. Et il ne faudra pas attendre son éventuelle destitution pour découvrir ses fastes.
Il assume à 200%, faisant du mauvais goût sa marque de fabrique. Ses appartements au sommet de la Trump Tower de Manhattan, à la décoration « digne » du château de Versailles, ou sa villa de Palm Beach, où défilent les voitures de luxe, en sont le témoignage. Et sa manie de s’y faire photographier en famille et sous toutes les coutures témoigne d’un culte de la personnalité valant un satrape.
Son équipe propose d’ailleurs depuis quelques semaines aux citoyens américains de souscrire un abonnement à la « Big League Box », qui permet de recevoir chaque mois tee-shirts, pin’s, autocollants et tasses à l’effigie du 45e président des Etats-Unis, moyennant 49 dollars mensuels. Dictateur, peut-être pas. Businessman, toujours.
> Brunei
Le sultan, dont le palais royal de 1 788 pièces est trois fois plus vaste que Buckingham Palace, possède plus de 5 000 voitures de luxe. La Rolls-Royce qui promenait l’une de ses filles pour son mariage est couverte d’or à 24 carats.
> Ukraine
Les révolutionnaires de Maidan aiment faire visiter l’extravagante villa de l’ex-président Viktor Ianoukovitch, déchu en 2014: chaque détail témoigne de la mégalomanie du despote, jusqu’aux bouteilles de cognac sans âge à son efÂfigie.
> Turkménistan
Après les seize ans du règne de Niazov (statue dorée), le Turkménistan a entamé cette année le troisième mandat du président Berdymoukhammedov, au pouvoir depuis 2006. Lui aussi a fait ériger bâtiments, monuments et hôtels à sa gloire (comme ce palais des mariages avec son portrait), pour le plus grand bonheur de Bouygues, constructeur quasi officiel.
> Libye
En pillant le palais de leur colonel défait et bientôt défunt, Mouammar Kadha , les rebelles libyens ont découvert, parmi d’autres objets de convoitise, cette méridienne dorée qui avait servi pour le mariage d’Aïcha, fille unique du chef.