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Le Monde, le 06/01/2021
Par Marina Rafenberg (Athènes, correspondance)
Dans un contexte de tensions accrues avec Ankara, Athènes a signé mardi un accord de défense avec Israël, prévoyant, notamment, la création d’une école de pilotage pour l’armée de l’air grecque.
Après la signature d’accords stratégiques avec les Emirats arabes unis, l’Egypte, l’Inde, et les promesses d’achats d’armement à la France ou aux Etats-Unis, Athènes a signé, mardi 5 janvier, un contrat d’« environ 1,8 milliard de dollars » avec Israël. S’étalant sur une période de vingt ans, il prévoit la création et l’exploitation d’une école de pilotage pour l’armée de l’air grecque à Kalamata, dans le Péloponnèse, et l’acquisition de dix avions d’entraînement M-346. Selon le ministre israélien de la défense, Benny Gantz, « il s’agit d’un partenariat à long terme qui (…) favorisera la stabilité en Méditerranée ».
Depuis la fin de 2019, le torchon brûle entre la Grèce et la Turquie. Au cœur des tensions : la course aux hydrocarbures en Méditerranée orientale et le désir d’Ankara d’explorer des zones maritimes qui relèvent de la souveraineté grecque. La signature d’un accord maritime turco-libyen, en novembre 2019, bafouant les eaux territoriales grecques, a lancé les hostilités.
Durant toute l’année 2020, la Turquie a multiplié les gestes de défiance : envoi de milliers de migrants à sa frontière terrestre dans l’Evros, transformation de la basilique byzantine Sainte-Sophie en mosquée, puis déploiement de l’Oruç Reis, un navire de prospection sismique turc escorté de bâtiments de guerre dans des eaux revendiquées par la Grèce, proches de l’île de Kastellorizo, et exercices militaires en mer Egée.
Un accord « prévu de longue date »
« Même si cet accord avec Israël n’est pas si important stratégiquement et qu’il était prévu de longue date, il s’inscrit dans une tentative d’Athènes de créer depuis un an une alliance élargie et dissuasive face à Ankara en Méditerranée orientale », explique Panagiotis Tsakonas, professeur de relations internationales à l’université d’Athènes et chercheur à la Fondation hellénique pour la politique européenne et étrangère (Eliamep).
Le budget 2021 de la Grèce prévoit une augmentation de 60 % de ses dépenses en matière de défense
Dans ce climat de vives tensions avec la Turquie, le premier ministre conservateur, Kyriakos Mitsotakis, avait annoncé, en septembre, son intention d’acheter à la France dix-huit avions de combat Rafale – six neufs et douze d’occasion – pour équiper son armée de l’air. Au total, leur achat devrait s’élever à plus de 2 milliards d’euros ; la ministre des armées, Florence Parly, est attendue à Athènes à la fin janvier pour conclure cette acquisition. En novembre, la Grèce avait conclu avec les Emirats arabes unis un partenariat stratégique prévoyant notamment une clause d’assistance mutuelle. Abou Dhabi avait déjà déployé en Crète durant l’été, au pic de la crise, quatre avions F-16.
Lors de la visite du secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, en septembre, l’achat de vingt avions furtifs F-35 aux Etats-Unis avait été également au cœur des discussions. A la fin décembre 2020, le Parlement grec a approuvé le budget 2021 du pays, qui prévoit une augmentation de 60 % de ses dépenses en matière de défense, qui s’élèveront à 5,5 milliards d’euros. Rien que pour l’équipement militaire, le budget a été multiplié par cinq.
« Une période de calme superficiel »
La stratégie de dissuasion d’Athènes ne semble avoir eu que peu d’effets au cours des derniers mois. Peu avant Noël, la Turquie a annoncé, par un message sur le système d’information maritime international Navtex, son intention de procéder à nouveau pour six mois à la recherche d’hydrocarbures, au sud et à l’est de l’île grecque de Kastellorizo. L’Oruç Reis n’a pas encore été déployé dans les eaux grecques, mais, le ministre turc de la défense, Hulusi Akar, a lancé un avertissement : « Si la Grèce cherche une solution sans nous, elle n’en trouvera pas ! »
Pour Periklis Zorzovilis, président de l’Institut grec des analyses en défense et sécurité, « nous sommes dans une période de calme superficiel. Les tensions ne sont pas vraiment retombées, mais les deux pays sont dans l’attente de voir notamment ce que l’élection de Joe Biden aux Etats-Unis va changer dans la région ».
Pour l’instant, les deux pays ne sont pas prêts à entamer des « pourparlers exploratoires » au sujet de leurs différends concernant la délimitation des zones maritimes. La Grèce affirme que les îles doivent être prises en compte dans la délimitation de son plateau continental, conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Unclos), qu’elle a signée, contrairement à Ankara.
La Turquie estime, pour sa part, que le plateau continental d’un pays doit être mesuré à partir de son continent et que la zone située au sud de Kastellorizo fait donc partie de sa zone exclusive. « Chacun reste campé sur ses positions, et les négociations pataugent », résume Panagiotis Tsakonas.
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