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La Libération, le 08/05/2016
Par Quentin Raverdy , Correspondance à Istanbul
Après l’annonce, jeudi, du départ du Premier ministre Ahmet Davutoglu, le président turc a vite enterré l’héritage politique de ce dernier et a réaffirmé sa volonté de réformer la Constitution, projet auquel le partant était peu favorable.
Erdogan repart en campagne pour renforcer le pouvoir présidentiel
Vingt et un mois : c’est le court laps de temps durant lequel Ahmet Davutoglu aura pu s’accrocher à son poste de Premier ministre aux côtés d’un président Recep Tayyip Erdogan très peu partageur en matière de pouvoir. Et signe que l’ère Davutoglu est bel et bien terminée, le président Erdogan n’a pas attendu pour fouler au pied son héritage politique.
Au cours des dernières semaines, le chef du gouvernement turc avait su habilement conclure un accord sur la question migratoire avec l’UE, reléguant le «sultan» turc au rang de simple spectateur. Il était même parvenu à convaincre la Commission européenne de soutenir la suppression des visas pour les citoyens turcs désirant se rendre – pour des séjours courts – dans l’espace Schengen.
Cet accord est aujourd’hui sérieusement menacé par le président turc. En fin de semaine dernière, il s’est en effet fermement opposé à l’assouplissement de la loi antiterroriste turque, l’un des 72 critères imposés par Bruxelles pour la fin du régime des visas. Et sans ce changement, pas d’accord possible. Du côté des Européens donc, c’est avec beaucoup d’appréhension qu’on attend le nom du remplaçant du Premier ministre turc.
Bien qu’il reste deux semaines à Ahmet Davutoglu pour ranger ses cartons et faire ses adieux, la bataille des pronostics quant au nom de son successeur, elle, a bien commencé. Parmi les favoris, on retrouve des fidèles du président à l’instar de Binali Yildirim, actuel ministre des Transports ou son homologue de la Justice, le très conservateur Bekir Bozdag. Berat Albayrak, chargé de l’Energie et gendre de Recep Tayyip Erdogan est également pressenti.
Mais qu’importe le nom du remplaçant d’Ahmed Davutoglu, l’homme aura la lourde tâche de satisfaire les désirs de pouvoir d’un président Erdogan de plus en plus autoritaire dans une Turquie violemment secouée par le retour du conflit dans les régions kurdes et une vague d’attentats sans précédents.
Depuis plusieurs jours, les rumeurs d’une « rupture » dans l’exécutif turc allaient bon train, c’est finalement jeudi que la Turquie a assisté, un peu interloquée, au dernier acte d’un divorce annoncé. L’air sévère et résolu, Ahmet Davutoglu a en effet révélé la tenue le 22 mai d’un congrès exceptionnel de l’AKP, le parti islamo-conservateur (au pouvoir depuis 2002) dont il est le chef.
Un congrès pendant lequel « Hoca » (le sage, comme l’appellent ses proches) ne représentera pas sa candidature, abandonnant du même coup – comme le prévoit la charte de l’AKP – le rôle de Premier ministre. « Davutoglu n’a perdu aucune élection, il n’a pas été destitué par une motion de censure au parlement et il n’a pas démissionné », rappelle l’éditorialiste turc Murat Yetkin.
Cet ancien professeur d’université, qui aura successivement servi Erdogan comme conseiller diplomatique (de 2003 à 2009), ministre des Affaires étrangères (2009-2014) et enfin Premier ministre au lendemain de l’élection présidentielle d’août 2014, paie aujourd’hui le prix de ses désaccord répétés avec le leader turc.
L’une des principales pommes de discorde entre les deux hommes : le visible manque d’enthousiasme d’Ahmed Davutoglu à mettre en œuvre le projet de réforme de la Constitution si cher à Recep Tayyip Erdogan. Une réforme qui conduirait la Turquie vers un régime présidentiel, octroyant davantage de pouvoirs à un chef de l’Etat déjà vivement critiqué pour son autoritarisme.
Et un jour seulement après avoir scellé le sort politique de son Premier ministre, Erdogan n’a pas manqué de repartir en campagne pour l’instauration d’un système présidentiel : « A ce stade, il n’y aura pas de retour en arrière. Tout le monde devrait l’accepter désormais », a-t-il estimé. Pourtant l’idée ne fait pas l’unanimité et tout particulièrement chez les députés de l’opposition. Sans le soutien de 17 d’entre eux, les 313 députés de l’AKP ne pourront soumettre le projet de réforme à référendum. Et en cas de blocage, l’idée d’organiser de nouvelles élections législatives, pour rebattre les cartes politiques, pourraient germer du côté des islamo-conservateurs.
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