Ce pont gigantesque s’inscrit dans la lignée des grands travaux entrepris par le président turc dans la mégalopole de 18 millions d’habitants.

Un chantier pharaonique pour celui qui est souvent comparé à un sultan ottoman. Recep Tayyip Erdogan a inauguré vendredi à Istanbul le nouveau pont Yavuz Sultan Selim, symbole des hautes ambitions qu’il nourrit pour la ville dont il fut le maire entre 1994 et 1998. L’occasion d’oublier, l’espace d’un court instant, un été marqué par le coup d’Etat manqué du 15 juillet, les purges , l’attentat de Gaziantep et l’intervention de l’armée turque en Syrie.

Ce pont qui enjambe le Bosphore – le majestueux détroit séparant les rives européenne et asiatique de l’ancienne Constantinople – est « le plus spectaculaire construit ces dernières années », selon son concepteur français Michel Virlogeux, déjà à l’origine du viaduc de Millau.

D’une hauteur de 323 mètres, cet édifice situé au débouché de la mer Noire a la caractéristique d’être à la fois suspendu et haubané, c’est-à-dire maintenu par des câbles en acier, à l’image du célèbre pont de Brooklyn à New York construit au XIXe siècle. Il possède la plus grande portée du monde avec 1.408 mètres entre ses deux pylônes, tandis que sa structure porteuse est large de près de soixante mètres. Il abrite deux voies ferrées et huit voies routières.

 

Un nom controversé

Construit à vitesse grand V (trois ans et demi), le pont a coûté près de 800 millions d’euros. Il porte le nom d’un sultan ottoman du XVIe siècle célèbre pour ses conquêtes militaires en Syrie, en Palestine, dans la péninsule Arabique et en Egypte, où il déposa le calife Al-Mutawakkil III en 1517 après avoir mis à genoux le régime des Mamelouks.

 

Tout sauf un hasard pour Recep Tayyip Erdogan, qui ne cache pas sa nostalgie pour la grandeur de l’Empire ottoman et tente de réislamiser la société turque depuis son arrivée au pouvoir en 2003. Le choix du nom du pont sonne comme une provocation pour les alévis (une branche du chiisme) de Turquie. Car le sultan Selim, père du célèbre Soliman le Magnifique, persécuta cette minorité pendant son règne de huit ans (1512-1520).

 

Le pont Yavuz Sultan Selim est vivement critiqué par les groupes écologistes en Turquie. - AFP

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Avec ce pont, les autorités espèrent décongestionner Istanbul. En 2015, l’ancienne capitale des empires byzantin et ottoman figurait à la première place des villes les plus embouteillées de la planète, selon les données recueillies par le navigateur GPS Tom Tom. Mais, pour les opposants au projet, ce pont risque d’étendre les problèmes de trafic plutôt que de les résoudre. Ils dénoncent en outre son coût écologique car les autoroutes reliant les deux rives de la ville traversent la forêt de Belgrade, rare espace vert de cette mégalopole de 18 millions d’habitants.

Projets en cascade

Lors de la dernière décennie, les projets titanesques se sont multipliés à un rythme effréné à Istanbul. A la manoeuvre : Recep Tayyip Erdogan et ses proches. Le natif du quartier populaire de Kasimpasa, qui n’a jamais aimé la capitale Ankara, souhaite faire d’Istanbul un hub puissant au carrefour de l’Europe, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique.

 

Avec cette nouvelle construction, il poursuit le remodelage d’une ville qui ressemble à un chantier permanent, sur fond de spéculation immobilière. Après le coup d’Etat manqué, il s’était d’ailleurs empressé de rebaptiser « pont des martyrs du 15 juillet » l’un des autres ponts sur le Bosphore.

 

Au début de l’été, un autre chantier stambouliote a été sous le feu des projecteurs : la mosquée Çamlica. Bien qu’encore en construction, celle qui deviendra la plus grande mosquée de Turquie a ouvert ses portes aux fidèles à l’occasion du ramadan. Doté de six minarets, cet édifice de style néo-ottoman pourra accueillir 30.000 personnes. Son inauguration est prévue fin 2016 ou au début de l’année 2017.

 

La mosquée Çamlica à Istanbul sera bientôt la plus grande de Turquie. - AFP
La mosquée Çamlica à Istanbul sera bientôt la plus grande de Turquie. – AFP

 

En 2013, une autre prouesse technologique a été inaugurée : le tunnel ferroviaire Marmaray, situé en partie sous le Bosphore. « Ce n’est pas le projet du siècle mais le rêve de plusieurs siècles qui se concrétise », avait alors déclaré Recep Tayyip Erdogan, aux commandes du train qui effectuait les premiers tests dans le tunnel.

 

Deux autres projets pharaoniques sont au programme : un canal artificiel parallèle au Bosphore qui pourrait relier la mer Noire à la mer de Marmara, et un gigantesque projet d’aéroport . Situé à 35 kilomètres du centre-ville, ce dernier comptera une plate-forme aéroportuaire équipée de deux pistes et d’un terminal. Il pourra, dans un premier temps, accueillir 90 millions de passagers par an. Mais il est prévu de l’agrandir pour la doter de six pistes et de trois terminaux. Une fois ces extensions achevées, l’aéroport pourra accueillir 200 millions de passagers par an. Un sacré défi alors que l’instabilité politique et les attentats ont fait nettement reculer le nombre de visiteurs étrangers cette année.

 

Le montant estimé du projet est de 8 milliards d’euros. Recep Tayyip Erdogan compte inaugurer en 2018 ce projet vivement critiqué par les groupes écologistes. Mais d’autres projets fous pourraient suivre. Car après tout, le « sultan » Erdogan ne fait pas mystère qu’il rêve de présider aux destinées de la Turquie jusqu’en 2023, année du centenaire du pays.