Figure de la scène intellectuelle turque et éditorialiste au quotidien Cumhuriyet, récemment pris pour cible par Ankara, Ahmet Insel, 61 ans, dirige la revue Birikimet les éditions Iletisim. Economiste et politologue, diplômé de la Sorbonne et professeur émérite à l’université Galatasaray d’Istanbul, il est notamment l’auteur de La Nouvelle Turquie d’Erdogan (La Découverte, 2015).
La Turquie est, selon vous, entrée dans un régime de « contre-coup d’Etat permanent ». Qu’entendez-vous par là  ?
Le coup d’Etat avorté du 15 juillet a permis au président Recep Tayyip Erdogan de réaliser son vieux rêve de contrôler tous les instruments de l’Etat, pour exercer un pouvoir qui n’est plus limité par un quelconque contre-pouvoir institutionnel.
Cette évolution a commencé en 2014, après son élection triomphale – avec près de 53 % des voix – dès le premier tour de la présidentielle. Selon la Constitution, la République turque reste parlementaire et, théoriquement, le pouvoir exécutif appartient au premier ministre. Mais pour le leader du Parti de la justice et du développement [AKP, islamo-conservateur, au pouvoir depuis 2002], cette élection, pour la première fois au suffrage universel, a changé la nature du régime.
L’échec du putsch et l’instauration de l’état d’urgence lui ont ensuite permis d’écarter tous ceux qui pouvaient lui résister. Un quart des quelque 14 000 juges et procureurs du pays ont été limogés ou arrêtés, dont deux magistrats de la Cour constitutionnelle.
Les purges sont massives dans la hiérarchie militaire comme dans la police. Plus de 100 000 fonctionnaires ont été renvoyés ou suspendus pour de supposés liens avec la confrérie de Fetullah Gülen accusée d’être à l’origine du putsch, ou pour complicité avec la guérilla kurde du PKK. Quelque 35 000 personnes ont été arrêtées et 10 000 sont inculpées tout en restant en liberté.