A un mois du référendum constitutionnel en vue du renforcement des prérogatives du président Recep Tayyip Erdogan, la crise diplomatique entre Ankara et ses partenaires européens ne connaît pas de répit. Pas un jour ne se passe sans que les dirigeants turcs ne fassent monter la tension, jouant tantôt de la menace migratoire, Âtantôt de l’escalade rhétorique sur le thème du « nazisme ». M. Erdogan a aussi critiqué l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne autorisant les entreprises à interdire le voile au travail, ce qu’il décrit comme une « croisade » contre l’islam.
Les tensions ont atteint leur paroxysme depuis les interdictions faites à plusieurs officiels turcs de tenir, auprès de leur diaspora aux Pays-Bas, en Allemagne et en Autriche, des meetings électoraux en faveur du oui au référendum du 16 avril. A un mois du scrutin, les sondages donnent le oui au coude-à -coude avec le non, voire parfois en léger recul.
Voyant que la victoire n’est pas acquise, M. Erdogan et son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) ont besoin de créer des ennemis pour mieux galvaniser les ultranationalistes, dont une large partie n’est pas acquise au oui. « A partir du moment où M. Erdogan n’a pas pu trouver, en interne, un thème de victimisation assez fort pour consolider les voix des nationalistes en vue de son référendum, il est allé le chercher à l’extérieur », explique Ali Seker, député du Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche).
Fracture
Ce brusque regain d’animosité envers l’Europe est d’abord à mettre au compte du référendum, mais il masque une fracture plus profonde. Pour l’écrivaine Oya Baydar, Erdogan veut bel et bien le divorce avec l’UE. « Lui et son entourage sont en train de pousser la Turquie plus avant sur les rails de l’islam politique. Pour éviter les critiques des Européens envers sa ligne, il détourne le pays de l’Europe », écrivait-elle le 16 mars sur le site d’information en ligne T24.
Mais la conjoncture économique dégradée en Turquie interdit pour le moment à M. Erdogan d’acter la rupture avec l’UE, principal partenaire commercial du pays et son plus gros investisseur. « Erdogan est un opportuniste,assure Garo Paylan, député du Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde). Quand cela l’arrangeait, il se montrait favorable au processus de paix avec les Kurdes, penchait du côté des libéraux. Désormais, le voici au mieux avec les ultranationalistes du MHP [Parti d’action nationaliste]. Entre-temps, il a oublié le processus de paix et les droits de l’homme »
Pour lui, « Erdogan est favorable aux échanges économiques avec l’Europe, mais ne veut pas de ses critiques. Merkel a eu tort de venir ici lui manifester son soutien. Avec l’accord sur les migrants, elle a réduit la Turquie au rôle de zone tampon, mettant de côté les droits de l’homme ». Par ailleurs, l’accord du 18 mars 2016 prévoit le versement à Ankara, par Bruxelles, de 3 milliards d’euros, renouvelable une fois – dont 750 millions ont déjà été versés – pour améliorer l’accueil des réfugiés en Turquie. Une raison supplémentaire de ne pas hâter la rupture.
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