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Le Temps (Suisse), le 05/01/2018
Recep Tayyip Erdogan à son départ d’Istanbul. © Berk Ozkan/Anadolu Agency/Getty Images
Le président turc est reçu ce vendredi à déjeuner à l’Elysée par Emmanuel Macron. En arrière-plan? L’enterrement de la diplomatie française des droits de l’homme
Cent quarante médias supprimés, 775 cartes de presse abrogées, plus de 100 journalistes arrêtés: tenu par Reporters sans frontières, ce décompte macabre qui dit la répression des libertés dans la Turquie de Recep Tayyip Erdogan sera-t-il évoqué, ce vendredi, lors du déjeuner offert au président turc par Emmanuel Macron?
Deux jours après l’annonce par le président français d’un projet de loi pour réprimer les fausses nouvelles en période électorale, le tapis rouge déroulé à l’homme fort d’Ankara risque en effet d’illustrer le pragmatisme revendiqué du quinquennat Macron. Un pragmatisme également illustré par les portes toujours grandes ouvertes, en France, au maréchal Egyptien Al-Sissi (en visite en octobre 2017), et par son soutien à la reprise des négociations avec le gouvernement syrien de Bachar el-Assad. Lequel, avait tout de même nuancé le président français le 19 décembre, «devra ensuite répondre de ses crimes devant son peuple…»
Jeu trouble d’Ankara
Cette ligne fort peu «droit-de-l’hommiste» n’est pas surprenante. Emmanuel Macron se devait de renvoyer l’ascenseur à son homologue turc après la libération en septembre 2017 par celui-ci du journaliste Loup Bureau, incarcéré pour avoir couvert la rébellion indépendantiste kurde. La collaboration de la Turquie est en outre indispensable à tous égards pour éviter ce qu’Emmanuel Macron l’Européen redoute par-dessus tout: un nouvel afflux massif de migrants en provenance du Proche-Orient, qui déstabiliserait de nouveau l’UE, où les populistes et les extrêmes sont toujours en embuscade.
Le président français a aussi, à plusieurs reprises, affirmé que la guerre contre le terrorisme au Levant «serait achevée» en février. Ce qui suppose de venir réellement à bout des combattants de Daech, avec lesquels Ankara a souvent joué un jeu trouble. Le sujet de plus en plus d’actualité de l’éventuel rapatriement en France des ex-djihadistes français – que le gouvernement a répété jeudi vouloir voir jugés «là où ils ont commis des crimes» – est aussi une affaire sur laquelle Erdogan a son mot à dire. Un combattant de premier plan, Jonathan Geffroy, alias Abou Ibrahim al-Fransi, avait été remis à Paris par les autorités turques en septembre dernier avec sa femme et ses deux enfants.
Se forger une stature internationale
Emmanuel Macron est par ailleurs logique avec sa vision du monde, qu’il esquissera plus encore à partir du 8 janvier, lors de sa première visite officielle en Chine et de sa rencontre avec Xi Jinping. Voici quelques jours, l’ancien ministre des Affaires étrangères français Hubert Védrine, qui le rencontre régulièrement, le qualifiait à juste titre dans L’Opinion de «mélange d’européisme et de tactique réaliste». C’est ce réalisme qui l’a conduit, en novembre, à flatter les Emirats arabes unis lors de l’inauguration du Louvre Abu Dhabi, puis à se rendre en Arabie saoudite pour y rencontrer le prince Mohammed Ben Salman et y plaider la cause de l’ex-premier ministre libanais Saad Hariri, venu ensuite à Paris avant de se réinstaller au Liban. A chaque fois, trois préoccupations dominent: la volonté de se forger une stature internationale, le besoin d’alliés dans son combat diplomatique prioritaire contre le réchauffement climatique face à Donald Trump et, en coulisses, l’éternel carnet de commandes pour les industries françaises de défense.
C’est d’ailleurs sur ce dernier point que les choses ont le plus changé depuis son élection. Sous François Hollande, la tâche de négocier les accords d’exportation d’armes (telles les ventes d’avions Rafale achetés sous le quinquennat précédent par l’Inde, l’Egypte et les Emirats) revenait au ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Désormais à la tête de la diplomatie, celui-ci a donc délaissé ses réseaux industriels et militaires, qu’Emmanuel Macron a commencé à gérer en direct. Le président turc, dont le pays est membre de l’OTAN, a aussi un avantage: il soutient le Qatar, cet allié-client traditionnel de la France, en ce moment au ban de la région. Et il maintient de bonnes relations avec l’Iran, actuellement en proie à de violentes protestations.
«Dire les choses franchement tout en évitant l’affrontement»
Pour l’Elysée, le président turc vient en plus à Paris à un «tournant», illustré par son ton désormais «bien plus conciliant vis-à -vis de l’Union européenne». Qui mieux, dès lors, qu’Emmanuel Macron pour se poser en partenaire d’Ankara, un an et demi après le coup d’Etat déjoué du 15 juillet 2016, et alors que se profilent déjà la présidentielle turque de 2019? L’éclipse diplomatique d’Angela Merkel, toujours à la recherche d’une coalition gouvernementale et plusieurs fois insultée par Erdogan, facilite les choses.
«Jusque-là , Macron a plutôt bien géré les hommes forts en visite, comme Poutine ou Trump, nous expliquait, en marge du récent forum Peace and Sport de Monaco, le chercheur français Pascal Boniface. Il sait dire les choses franchement tout en évitant l’affrontement.» Traduisez: la raison d’Etat s’affirme comme une valeur sûre – et jusque-là bien gérée – du macronisme.
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