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La Croix, le 17/09/2019
Mathilde Blayo
L’ancien premier ministre Ahmet Davutoglu, l’ancien président Abdullah Gül, l’ancien vice-premier ministre, Ali Babacan : de grands noms du parti au pouvoir en Turquie, l’AKP, ont fait défection devant la dérive autoritaire du président Recep Tayyip Erdogan.
Les défections n’en finissent plus au sein du parti au pouvoir en Turquie, l’AKP. L’ancien premier ministre du président Recep Tayyip Erdogan et pilier du parti, Ahmet Davutoglu, a annoncé la prochaine création d’une nouvelle formation politique, vendredi 13 septembre.
« Cela relève de notre responsabilité historique et de notre devoir envers la nation (…) de créer un nouveau parti politique », a déclaré celui qui fut premier ministre de 2014 à 2016, avant d’être mis au ban du parti. En quittant le parti islamo-conservateur, Ahmet Davutoglu a devancé les instances dirigeantes de l’AKP qui avaient prévu son expulsion.
Des poids lourds marginalisés
En avril, déjà , l’ancien bras droit d’Erdogan était sorti de sa réserve habituelle en publiant un « manifeste » critique de la « mauvaise gouvernance » des autorités et de la « politique arrogante » menée par le parti. En juillet, il déplorait la décision de l’AKP d’avoir exigé un deuxième scrutin aux municipales d’Istanbul, après avoir perdu le premier de justesse face à l’opposition. Face à cette prise de parole, le comité exécutif de l’AKP avait décidé à l’unanimité, début septembre, de le renvoyer devant une commission disciplinaire en vue de son expulsion.
Ahmet Davutoglu suit d’autres poids lourds du parti, comme l’ancien président Abdullah Gül et l’ex-vice premier ministre Ali Babacan, membres fondateurs de l’AKP, qui ont pris leurs distances avec le président Erdogan. « Cela fait plusieurs années que ces personnalités du parti sont marginalisées, éloignées des postes de décision, rappelle Jean Marcou, professeur à l’Institut d’études politiques de Grenoble, chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes. Abdullah Gül a souvent exprimé ses désaccords avec Erdogan, et en démissionnant de son poste de premier ministre en 2016, Davutoglu marquait aussi son désaccord. »
Désaffection générale
Ali Babacan, vice-premier ministre de 2014 à 2015, figure respectée des milieux économiques et crédité des succès de l’AKP dans le domaine, démissionnait du parti le 8 juillet en lui reprochant d’avoir sacrifié ses « valeurs » et évoquant le besoin d’« une vision neuve » pour le pays. « Ce sont les représentants de la première version de l’AKP qui quittent le navire, analyse Jean Marcou. Ceux de l’AKP qui se montrait comme un parti d’ouverture, prêt à engager les réformes nécessaire pour entrer dans l’UE ».
Si le président turc est rejoint par de nouveaux militants, plus nationalistes et obéissants, le chercheur constate que les défections ne concernent pas que les cadres de l’AKP. « Il y a un départ bien plus large et une désaffection de l’électorat qui se voit dans les votes », rappelle-t-il, alors que l’AKP a perdu la capitale Ankara ainsi qu’Istanbul aux dernières municipales.
Selon un sondage de l’institut Metropoll, 60 % des Turcs interrogés se disent opposés au système d’hyper-présidence mis en place par Erdogan, désormais président, chef du gouvernement, de l’AKP, commandant en chef des armées et maître de la politique monétaire.
Divisions chez les conservateurs
Ahmet Davutoglu comme Ali Babacan ont annoncé la formation de leur propre mouvement politique. Soutenu par Abdullah Gül, Ali Babacan a précisé qu’il ne se joindrait par à Ahmet Davutoglu car leurs « priorités politiques, leurs méthodes et leurs tons sont différents ». Des luttes internes qui affaiblissent l’AKP et l’ensemble d’une aile politique. « Ce sera compliqué pour ces dissidents d’émerger politiquement. Leur départ va faire perdre des voix à l’AKP, mais il est peu probable que leurs partis lui succèdent », considère Jean Marcou.
Face à ces départs, le président Erdogan semble assumer un nettoyage au sein de son parti, mais il peine à rebondir politiquement. Quelques libérations de journalistes et enseignants, ces derniers mois, donnent des signes d’ouvertures, rapidement contredits toutefois par des arrestations de maires kurdes ou de membres de partis d’opposition.
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