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Le Monde, le 01/02/2019
Il est perçu comme un paria partout… sauf en Turquie, où toutes les chapelles politiques – des islamistes aux marxistes – ont une raison de le soutenir.
LETTRE D’ISTANBUL
Par Marie Jégo
Il est contesté en son pays, perçu comme un paria sur la scène internationale… mais il y a un pays où le président vénézuélien Nicolas Maduro jouit d’une popularité sans égale : la Turquie. Le hashtag « We are Maduro » y est tweeté et retweeté à l’envi.
Toutes les chapelles politiques – islamo-conservateurs, chantres du nationalisme, kémalistes aguerris, militants de gauche – le soutiennent. Les islamistes louent « le champion de l’anti-impérialisme », les marxistes saluent « le révolutionnaire ».
Dans un rare élan d’unanimité, les éditorialistes de la presse progouvernementale (Sabah, Yeni Akit, Yeni Safak) et ceux de l’opposition (Sözcü, Birgün, Cumhuriyet) se sont mis à parler d’une seule voix. Maduro, disent-ils, est le jouet des puissances occidentales, les Etats-Unis au premier chef, qui veulent le renverser pour faire main basse sur les richesses du pays.
Trois ingrédients agrémentent la narration : le complot, la CIA, la manipulation des réseaux sociaux. Pour le reste, l’opposition n’existe pas et la crise économique est une vue de l’esprit. Et d’ailleurs, Nicolas Maduro n’est pour rien dans la transformation de son pays, décrit jadis comme le plus riche d’Amérique latine, en une nouvelle république de Weimar, où la population manque de tout et où les prix grimpent d’heure en heure.
Un même horizon idéologique
Le quotidien Cumhuriyet en est sûr, le président américain Donald Trump n’avait en tête que les matières premières vénézuéliennes – or, pétrole et gaz – lorsqu’il a reconnu comme légitime le président vénézuélien autoproclamé, Juan Guaido, principal opposant au régime.
Une reconnaissance qui n’est pas non plus du goût du numéro un turc Recep Tayyip Erdogan : « Si l’on ne respecte pas le résultat des élections, où est la démocratie ? » Son soutien est sans failles. « Maduro, mon frère, tiens bon. Nous sommes avec toi ! », lui a-t-il déclaré par téléphone le 24 janvier.
Erdogan, l’islamiste, a toutes les raisons de s’identifier à Maduro, le socialiste, en cette période de troubles au Venezuela si semblable au soulèvement d’une partie de l’armée turque qui a failli le renverser, en juillet 2016, avec la bénédiction des Etats-Unis. Il en est persuadé et c’est ce que pense aussi une bonne partie de la population turque.
Les présidents turc et vénézuélien ont en partage un même horizon idéologique, essentiellement anti-américain. Nicolas Maduro a visité la Turquie à quatre reprises, notamment en juillet 2018, lorsqu’il a assisté à l’investiture de son homologue, qualifié par lui de « leader du nouveau monde multipolaire ».
Ankara, premier importateur d’or vénézuélien
M. Erdogan lui a rendu la politesse, le 3 décembre 2018. A peine arrivé à Caracas, il s’est vu remettre la médaille « El Libertador » (le libérateur) ainsi qu’une épée semblable à celle de Simon Bolivar, le héros de l’indépendance vénézuélienne.
Comme le président turc ne se déplace jamais sans un aréopage d’hommes d’affaires, des contrats ont été signés, les entrepreneurs qui l’accompagnaient étant demeurés sourds aux mauvais augures du Fonds monétaire international (FMI), qui prévoit un taux d’inflation à 10 000 000 % au Venezuela pour 2019.
L’association du patronat musulman (Musiad) a ouvert une représentation sur place et la Turkish Airlines, l’une des rares compagnies aériennes présente au Venezuela, continue d’assurer ses vols vers Caracas. La liaison aérienne est vitale. Sur le tarmac de l’aéroport, des tonnes d’aide humanitaire venue de Turquie sont déchargées quotidiennement tandis que d’autres avions-cargos décollent pour Istanbul, leurs soutes remplies d’or.
Ankara est en effet le premier importateur d’or en provenance du Venezuela. De juillet à décembre 2018, plus de vingt tonnes d’or « non monétaire » (c’est-à -dire non raffiné), soit l’équivalent de près de 1 milliard d’euros, ont été acheminées vers la Turquie, officiellement pour y être raffinées. Un processus suivi de près par Tareck El Aissami, le vice-président vénézuélien chargé de l’économie, qui effectue de fréquentes visites à Ankara ; la dernière en date, le 16 janvier, l’a emmené à Corum, au nord-est de la capitale, où l’or du Venezuela est en partie traité.
Une guerre financière est dans l’air
Avant 2018, le métal précieux était acheminé pour traitement en Suisse mais cette destination n’est plus une option. « Imaginez que cet or arrive en Suisse et que l’on nous dise qu’il doit y rester en raison des sanctions », avait expliqué, en juillet, Victor Cano, le ministre du développement minier du Venezuela. Il l’avait dit pour justifier l’accord signé entre les banques centrales turque et vénézuélienne au sujet du transfert de l’or.
Des cargaisons du métal jaune vénézuélien attendent aussi d’être transportées vers la Russie, le principal soutien et le grand débiteur de Nicolas Maduro. L’agence Bloomberg affirme ainsi qu’un Boeing 777 de la compagnie charter russe Nordwind Airlines s’est posé sur l’aéroport de Caracas, le 28 janvier, dans l’attente de son chargement en or. Démenti de Moscou et de Simon Zerpa, le ministre vénézuélien des finances.
Une guerre financière est dans l’air. Soutenu par la Russie, la Turquie, la Chine, Cuba, la Corée du Nord et l’Iran, Nicolas Maduro doit faire feu de tout bois pour sauver les meubles, surtout depuis que l’administration américaine s’est mis en tête de lui « couper les fonds », comme l’a souligné Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor.
Heureusement pour M. Maduro, ses alliés du « front multipolaire », soit la Turquie, la Russie et l’Iran, ont déjà réfléchi à la question. Recourir au troc, miser sur l’or, privilégier l’utilisation des devises nationales dans les échanges commerciaux, telles sont les priorités de la nouvelle alliance. Tout doit être mis en œuvre pour lutter contre l’hégémonie américaine, contourner les sanctions et, si possible, affaiblir le dollar, la monnaie honnie.
Tellement honnie qu’en août 2018, la banque centrale russe a décidé de convertir en or les dollars contenus dans sa réserve, peu après s’être délestée d’une large partie de ses bons du Trésor américain. Ankara l’avait précédée sur cette voie, en juin, retirant ses réserves d’or, soit 28,6 tonnes, des coffres-forts de la Réserve fédérale américaine. « Nous n’avons rien laissé », s’était réjoui Mehmet Simsek, à l’époque vice-premier ministre.
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