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La Croix, le 23/09/2019
Mathilde Blayo
Explication
Il y a trois mois, le 23 juin, l’AKP au pouvoir en Turquie perdait les élections municipales à Istanbul, fief du président Recep Tayyip Erdogan. Un vote comme un désaveu de la politique du gouvernement, que traduit l’affaiblissement du parti présidentiel. Durant l’été, plusieurs poids lourds ont encore fait défection.
Quelle est la situation à Istanbul depuis la défaite de l’AKP ?
Dimanche 23 juin, Ekrem Imamoglu, le candidat du parti républicain du peuple (CHP), était élu maire d’Istanbul contre le candidat du pouvoir. Une seconde victoire après l’annulation du premier vote du 31 mars. L’AKP perdait alors le fief historique du président Recep Tayyip Erdogan, après avoir perdu la capitale Ankara. Depuis, Ekrem Imamoglu a voulu présenter une nouvelle gestion de la ville, plus « transparente ». Il a ainsi décidé la diffusion en direct des séances municipales.
Début septembre, le nouveau maire a réuni tous les véhicules municipaux (véhicules de service, minibus, camions, fourgonnettes), pour montrer qu’ils étaient bien trop nombreux pour les besoins de la ville. « À travers ce type d’opération, il veut mettre en avant la mauvaise utilisation des fonds municipaux par l’AKP », explique Didier Billion, directeur adjoint de l’Iris.
Comment a évolué la situation au sein de l’AKP depuis trois mois ?
Plusieurs piliers et membres fondateurs du parti ont fait défection cet été. Ali Babacan, vice-premier ministre de 2014 à 2015, figure respectée des milieux économiques et crédité des succès de l’AKP dans le domaine, démissionnait du parti le 8 juillet en lui reprochant d’avoir sacrifié ses « valeurs » et évoquant le besoin d’« une vision neuve » pour le pays. Il était suivi par l’ancien président, Abdullah Gül. « Ce sont les représentants de la première version de l’AKP qui quittent le navire, analyse Jean Marcou, enseignant à Sciences-Po Grenoble et chercheur à l’IFEA. Ceux de l’AKP qui se montrait comme un parti d’ouverture, prêt à engager les réformes nécessaire pour entrer dans l’UE. »
Vendredi 13 septembre, c’est l’ancien premier ministre d’Erdogan, Ahmet Davutoglu, qui annonçait son départ. Ce faisant, il devançait les instances dirigeantes de l’AKP qui avaient prévu son expulsion. En avril, l’ancien bras droit d’Erdogan était sorti de sa réserve habituelle en critiquant la « mauvaise gouvernance » des autorités et la « politique arrogante » menée par le parti. En juillet, il déplorait la décision d’avoir exigé un deuxième scrutin aux municipales d’Istanbul, après avoir perdu le premier de justesse face à l’opposition. Suite à ces déclarations, le comité exécutif de l’AKP avait décidé à l’unanimité, début septembre, de le renvoyer devant une commission disciplinaire en vue de son expulsion.
L’AKP est-il aussi en perte de vitesse au sein de la population ?
Si le président turc est rejoint par de nouveaux militants, plus nationalistes et obéissants, les défections ne concernent pas que les cadres de l’AKP. « Il y a un départ bien plus large et une désaffection de l’électorat qui se voit dans les votes », rappelle Jean Marcou. Selon un sondage de l’institut Metropoll, 60 % des Turcs interrogés se disent opposés au système d’hyper-présidence mis en place par Erdogan, désormais président, chef du gouvernement, de l’AKP, commandant en chef des armées et maître de la politique monétaire. Face à ces départs, le président Erdogan semble assumer un nettoyage au sein de son parti.
Ahmet Davutoglu comme Ali Babacan envisagent de lancer leur propre mouvement politique. « Ce sera compliqué pour ces dissidents d’émerger politiquement. Leur départ va faire perdre des voix à l’AKP, mais il est peu probable que leurs partis lui succèdent », considère Jean Marcou. Lors des dernières élections, au niveau national, l’AKP récoltait encore 44 % des suffrages. « Le parti n’a pas encore un genou à terre et n’est pas en crise. Mais la dynamique est lancée, et les mauvais résultats économiques encouragent ce désaveu », conclut Didier Billion.
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